Page 67-71 du Livre « Cinquantenaire  Libération de Montauban et du Tarn et Garonne »

Louis Sabatié

24 août 1924 -17février 1944

17 février 1944, 17 heures. Des pas dans le couloir. Le lourd portail de la cellule qui s’ouvre. Une voix : « Sabatié Louis, suis-nous ! » Le jeune homme, chancelant, se lève. Deux hommes l’entraînent. Un escalier, trois marches. On tourne à gauche. Une galerie. Une porte qu’on pousse : le bureau du directeur de la prison Saint-Michel à Toulouse. La Cour martiale, présidée par le procureur général Berthier, assisté de deux assesseurs en civil, statue. Le directeur de la prison assiste à la séance, muet. A l’extrémité du bureau, un homme inscrit les débats : probablement un greffier.

Qui sont et comment fonctionnent ces cours martiales ?

Au début de janvier 1944, Laval confie la police à Darnand et institue, le 20, les cours martiales.

La loi du 20 janvier 1944 prévoit que ces juridictions seront créées par le « secrétaire général au maintien de l’ordre ». Darnand désigne librement les trois membres qui les composent.

Au terme de l’article 2 de cette loi : « Sont déférés aux cours martiales, les individus arrêtés en flagrant délit d’assassinat ou de meurtre, de tentative d’assassinat ou de meurtre… commis pour favoriser une activité terroriste. » L’article 5 ajoute : « Si la Cour martiale constate que les conditions prévues par l’article 2 de la présente loi sont réalisées, et que la culpabilité est nettement établie, les coupables sont immédiatement passés par les armes. »

Sans doute la sinistre besogne de ces juridictions d’exception était-elle facile à prévoir. Mais, du moins, imaginait-on qu’elle s’accomplirait avec un minimum de discrimination, que, conformément à la loi, seuls lui seraient déférés les patriotes qui seraient capturés les armes à la main, que les accusés seraient, sinon défendus, du moins entendus, qu’enfin, ses membres seraient des magistrats ou des fonctionnaires qui, bien que choisis pour leur cruauté ou leur servilité, observeraient les apparences de la légalité.

En fait, les cours martiales sont composées d’hommes de la milice. Ils sont porteurs d’ordres de mission, laissant leur nom en blanc. Les préfets sont requis de les introduire auprès des directeurs de prisons, qui doivent leur remettre la liste des détenus. Les tueurs anonymes choisissent alors leurs victimes au hasard des dossiers ou de leur humeur.

Ayant constitué leur charrette, ils font procéder immédiatement à l’exécution. Parfois, celle-ci est précédée d’un simulacre d’audience dans une salle de prison. Il n’est évidemment pas question d’instruction, ni de défense, ni de respect d’une quelconque forme légale.

C’est ainsi que, le 9 février, à Toulouse, trois individus composant la Cour martiale, descendirent à l’hôtel Fagès. Le lendemain, ils se présentèrent chez le nouveau préfet, Sedon, qui, au vu de leur ordre de mission, les introduisit à la prison Saint-Michel.

L’interrogatoire de la Cour est tout à fait rapide : « Tu t’appelles bien Sabatié Louis ? Tu es bien né le 24 août 1924 à Moissac ? Tu habites bien à Montauban-Villebourbon ? Tu reconnais avoir assassiné un agent en service. »

Soixante-dix secondes, moins de deux minutes entre ciel et terre. Rupture : jugement bref et définitif, verdict impitoyable. Condamné à mort.

Louis Sabatié est ramené en cellule. Il lui reste peu de temps. Le temps cependant d’écrire deux lettres exceptionnelles, lettres des derniers instants, adressées à sa fiancée Yvette et à ses parents.

Il faut lire ces lettres, empreintes de l’idéal qu’on a à 20 ans.

A Yvette : « Dis à tous les amis que je suis mort fier et heureux pour la victoire et pour la libération de l’humanité. »

Yvette adorée,

La fatalité n’a pas voulu que nous soyons heureux ensemble.

En effet, dans un quart d’heure environ, je serai mort : je viens d’entendre la sentence. Pauvre chérie, te souviens-tu de tous nos projets, de nos élans, de nos ravissants instants de bonheur seul à seul ?

Enfin ! Il faut savoir mourir dignement pour son idéal. Dis à tous les amis que je suis mort fier et heureux pour la victoire et pour la libération de l’humanité.

Sois courageuse dans ton malheur, unis tes souffrances à celles de mes parents. Pleurez-moi tous ensemble.

Il ne me reste plus que quelques secondes. Adieu à Mlle Yvette, à ta tante, à Mme Élise, à ce cher « moustic » et à tous les autres. Je meurs la tête haute mais je veux que tu vives. Adieu.

LOULOU

Maman adorée, très cher papa, très chère Linette,

Dans une demi-heure, je serai mort. On vient de me lire la sentence.

Sachez que je meurs fièrement, sans trembler. Je regrette d’avoir tué ce pauvre agent mais c’est la fatalité. Chère maman, sache que, à quelques instants de la mort, je suis ton digne fils qui t’adore et qui te supplie de lui pardonner toutes les souffrances qu’il t’a fait endurer dans sa courte vie. Pardonne-moi, je t’en supplie.

Cher papa, au nom de ton héroïsme lors de la dernière guerre, j’implore aussi ton pardon.

J’ai cru et je crois encore avoir fait mon devoir. Il est bien pénible, chère Linette, excuse-moi si je te procure des ennuis. Un jour prochain, ils te seront excusés.

Cher papa, chère Linette, je compte sur vous pour réconforter maman. Aimez-la toujours davantage car elle a toutes les vertus et que ma mort va, j’en suis sûr, lui être presque fatale : surveillez-la bien et aimez-la toujours autant que je l’aime quelques instants avant ma mort.

Pensez tous souvent à moi car j’ai su mourir dignement, fier de mon idéal. La grande révolution chrétienne a eu ses martyrs, la grande révolution actuelle a aussi besoin des siens. Qu’est-ce que la vie d’un homme en comparaison du bonheur de l’humanité ? Adieu parents adorés, je meurs content et fier, sans pleurer, sans gémir, car je vais retrouver les héros innombrables de la Libération.

Chère maman, comme je te le demande sur ma lettre écrite de Montauban, adopte Yvette comme ta fille et vivez ensemble en me pleurant. Mais je t’en supplie, vis, je le veux. Adieu, nous nous retrouverons un jour heureux.

Je t’adore et je meurs la tête haute, comme un humble artisan de la Libération.

LOUIS

A ses parents : « Qu’est-ce que la vie d’un homme en comparaison du bonheur de l’humanité ?…. Je meurs la tête haute comme un humble artisan de la Libération. »

Le lieu de l’exécution était le chemin de ronde. Des piquets fichés en terre, une sorte de palissade dressée derrière. A 17 h 22, ce 17 février 1944, Louis Sabatié tombe devant un peloton d’exécution français, en présence du procureur général Berthier. A-t-il crié « Vive la France ! », comme d’autres avant et après lui ? Nul ne sait. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il est mort en héros.

Héros il fut, dont témoigne la plaque commémorative érigée sur la grille de la cour du collège Jean-Jaurès à Villebourbon :

« Ici, vécut le capitaine F.F.I. Louis Sabatié,

Chevalier de la Légion d’honneur.

Fusillé par la milice le 17 février 1944.

1924- 1944»

A l’origine, cette plaque était apposée sur la façade d’un bâtiment de briques, aujourd’hui démoli, du groupe scolaire Ferdinand-Buisson, regroupant une école primaire de garçons et une autre de filles, celle-ci dirigée par Mme Sabatié, la mère de Louis, qui occupait, au premier étage, un logement de fonction.

A 19 ans, Louis Sabatié, « à la silhouette svelte et sportive, telle que la restitue une photo de cette période, manifeste un caractère audacieux, courageux, téméraire même. D’excellente éducation et nanti d’une solide instruction, c’est un jeune homme épris de justice et de liberté, nourri de l’idéal laïque et républicain de ses parents. »

Entré en classe de sixième en octobre 1935 au lycée Ingres, lycée de garçons à cette époque, Louis Sabatié suit une scolarité normale consacrée à l’étude, au sport (il était un bon joueur de rugby dans l’équipe junior de l’U.S.M.), aux loisirs. Brutalement, fin 1940, tout change : l’occupation, les restrictions, l’ordre nouveau. La cour du lycée devient vite un centre de réflexions, de discussions. A 16 ans, avec plusieurs camarades de classe : Bernard Piquemal, Charles Couchet, Maurice Oustrières, Jean-Pierre Delort, Pierre Blanc, Robert Cassagneau, René Coural, Jean Fonvieille, Jean Lacaze, Ernest Bonnet…, Louis Sabatié devient le cœur d’un noyau d’action décidé à lutter contre le pouvoir de la collaboration.

Bernard Piquemal se souvient : « Ah ! Ces manifestations à la gloire de Pétain que nous étions obligés de subir dans la cour dite d’honneur, du lycée. Des professeurs nous paraissaient plus respectables et peu enclins à nous entraîner dans les voies de la collaboration. Notre maître à penser, c’était M. Planet, professeur de philosophie. Quel géant celui-là ! Il était notre modèle : sa dignité, sa grande classe et ses attitudes silencieuses, tout respirait en lui le réfractaire. Dès son arrivée, il catalyse un noyau de lycéens résistants. Malgré la note de service nous enjoignant d’être, à l’heure indiquée, dans la cour d’honneur pour entendre le discours de Pétain, la classe de philosophie ne s’y rendait pas. Alors, le proviseur de l’époque ouvrait la porte et nous expédiait dans la cour, pendant que M. Planet, à son bureau, l’air détaché, allumait la cigarette de la détente. »

Louis Sabatié passe en 1942 le baccalauréat Math-Elem. avec mention, puis, inscrit au lycée Pierre-de-Fermat, à Toulouse, il y suit les cours de la classe préparatoire au concours des Hautes Etudes commerciales. Pendant cette période, il est surveillant au lycée Ingres, ce qui lui permet de continuer son action de résistance à Montauban.
Faisant preuve d’esprit d’initiative et d’organisation, il crée la P.A.N. (Phalange anti-nazi) avec quelques camarades. Si le noyau de la P.A.N. est constitué par les élèves du lycée, il est grossi par des jeunes gens de professions diverses et de toutes opinions. Et ce furent éditions et distributions de tracts clandestins, dont une feuille baptisée L’Etincelle, que Maurice Raynal, en liaison avec de jeunes étudiants, imprime sur la ronéo de la préfecture. Dans le numéro 1, daté de septembre 1943, on peut lire : « Son seul rôle est de servir de trait d’union entre tous les jeunes Français, sans distinction d’opinion ni de croyance… en les appelant à s’unir en vue du grand combat pour la libération de la patrie ». Mais aussi, fabrication de fausses cartes d’identité pour ceux qui, pour une raison sociale ou politique, sont recherchés par la police.

Les tracts anti-nazis et anti-vichystes fleurissent sur les portes des classes, sur les panneaux d’affichage du lycée Ingres, pour déborder bientôt dans la ville. Tel ce tract trouvé dans le parc du lycée le 23 décembre 1943.

Monsieur Pétain est-il donc si vieux qu’il ait oublié les articles du règlement militaire ?

Nous lui rappelons que ce règlement prescrit :

Toute tentative de la part de l’ennemi pour engager des conversations doit être accueillie à coups de fusil.

Tout militaire qui aura entretenu des relations avec l’ennemi sera considéré comme traître et exécuté.

Les Allemands ont supprimé V armée française, ils n’ ont pas supprimé son règlement. Allons ! Le grand soldat, soyez discipliné. Faites appliquer le règlement !

Le 11 novembre 1942, c’est l’occupation de la zone libre : Les Allemands entrent à Montauban. Alors, Louis Sabatié et ses camarades comprennent qu’il faut se battre. L’armée secrète s’organise. Il en fait partie comme agent de liaison. Mais après un contact infructueux avec Léo Hamon de Combat, qu’il a rencontré chez Raymond Tournou en janvier 1943, Louis Sabatié s’engage dans les rangs des F.T.P.F. avec ses camarades de la P.A.N.

Au début de l’été, Louis part trois mois en Corrèze, rejoindre son père, responsable d’un maquis de la région de Tulle. Tous deux participent à plusieurs actions.

A l’automne 1943, avec la rentrée scolaire, Louis Sabatié est de retour à Montauban. Il y continuera le combat. En décembre, attentat contre l’office de placement allemand : tout est prévu pour 18 heures. Mais il y a encore des promeneurs et un agent est de garde devant l’immeuble, au coin de la rue de la République. Il faut attendre pour ne pas faire de victimes innocentes. Puis à 18 h 30, Louis Sabatié et Maurice Oustrières s’approchent. L’un accroche solidement une bombe à la poignée de la porte, l’autre frotte la mèche. Tous deux s’enfuient sur leur bicyclette, par la rue du Greffe, la rue Michelet, la rue Saint-Louis. Alors qu’ils arrivent rue Bessières, la bombe éclate.

Le 2 février 1944, il fait sauter en début de soirée la vitrine d’un pharmacien, chef de la milice, puis se dirige à bicyclette vers la place Lalaque. Ce mercredi, la soldatenheim (le foyer du soldat), à l’angle de la rue Ferdinand-Buisson, est truffée d’officiers supérieurs de la Wehrmacht. Depuis longtemps, il en médite l’attaque. Or, l’agent de police François Bouyssou est de garde, ce soir-là, dans le quartier. Il juge ce cycliste suspect et le coince au coin du cinéma Rex, à l’angle de la rue Jean-Jaurès. Louis porte des grenades anglaises quadrillées et un pistolet. Sachant ce qui l’attendait en cas d’arrestation, il n’hésite pas à tirer en visant aux jambes. Mais l’agent Bouyssou est mortellement blessé au bas-ventre. Avant de mourir, ce dernier peut donner l’identité de Louis Sabatié. Faisant partie d’une même association sportive, ce policier aurait désigné du doigt, sur une photographie d’équipe, le visage de celui qui avait tiré.

Le lendemain 3 février, Louis accompagne les élèves aux obsèques de M. Dulaut, ancien professeur du lycée. Au retour, il assure la surveillance de l’étude. Déjà des policiers sont venus le demander, mais personne ne s’est avisé de l’avertir. En fin de matinée, il est arrêté dans la salle d’étude, alors qu’il tente de sauter par une fenêtre. Conduit au commissariat de police, puis à la prison de Beausoleil, il y est sauvagement frappé.

Sa mère et sa sœur sont plusieurs fois interrogées durement. On perquisitionne à l’école de Villebourbon, où l’on aurait retrouvé le revolver de Louis caché dans un cabinet désaffecté.

Pour sauver Louis, on tente de faire passer l’affaire en Cour d’assises, comme un délit de droit commun. Mais la loi du 20 janvier 1944 dessaisit les juges des affaires relatives à la Résistance pour les confier à des cours martiales.

Tout est dit. Louis Sabatié, héros et martyr, aura donné ses 20 ans, pour que d’autres jeunes de 20 ans puissent vivre dans un pays épris de justice et de liberté.

Joueur de l’U.S.M. Cette photo a été prise à Toulouse, aux Ponts-Jumeaux, en janvier 1942, à l’entrée des vestiaires sous les tribunes, avant un match honorable contre le Stade Toulousain. On reconnaît sur le cliché, debout, de gauche à droite : Guy Busquet, Lambert, Maurice Mességué, dont on connaît l’extraordinaire carrière à Fleurance ; Aimé Etienne, Jacques Méric, Georges Bénard, Louis Sabatié, Claude Raglia, et, assis de gauche à droite : Roger Debayle, Adrien Andrieux, André Denat, Pierre Dutilleux, Raymond Fourniols, Pierre Blanc, Pierre Coulonges, Maurice Augé, Jean Étienne.

A 20 ans, mourir pour la liberté
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