Pages 165-172 du Livre « Afin que Mémoire Demeure »

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page166pg

Prélude à l ‘horreur
Les Allemands avaient occupé Montauban au matin du 11 novembre 1942, et,
immédiatement, exécutant un plan préétabli, procédé aux réquisitions nécessaires pour leur installation. La kommandantur avait son siège à l’hôtel du Commerce, place de la Cathédrale, alors que la Gestapo logeait â l’ancien hôtel du général de la place, au faubourg du Moustier, La Feidgendarmerie résidait en face de la gare, à l’hôtel Terminus, et quelque temps après, un soldatenheim (foyer de soldats) fut créée place Lalaque.

La milice, en juin 1944, s’était installée au lycée des jeunes filles, ayant préféré au dernier moment le lycée Michelet au petit séminaire de Montauriol. C’est ainsi que l’on vit, deux mois durant, les francs-gardes devant le 22, faubourg Lacapelle.

L’ambiance était tendue depuis le débarquement du 6 juin et par le départ pour le front de Normandie du gros de la division Das Reich. Les quelques unités, restées pour le maintien de l’ordre, avaient pour première mission la lutte contre le terrorisme. Les unités de la milice leur servaient d’auxiliaires.

Les exécutions, incendies, prises d’otages, pendaisons, s’étaient ainsi multipliés depuis trois mois : Montpezat, Perches. Cabertat, Dunes, Montricoux, les Brunis. L’on attendait le pire.

Après le combat des Brunis, le 17 juillet, 9 otages restaient aux mains des Allemands : Borderies, Castel, Huguet, les frères Jouanny, les frères Lespinet, Mazard, Mélamed. Ils furent emmenés à Montauban. En route, ils eurent à subir les mauvais traitements d’un milicien venu en renfort qui s’acharna, sans raison, sur André Jouanny. Ils furent conduits tout d’abord à l’hôtel du Commerce. Ordre fut donné aux captifs de descendre des camions. Un sous-officier ajouta :  » Entrez là. On va vous tuer « . Introduits dans l’ancienne salle à manger du restaurant, ils virent les hauts lambris tâchés de sang. Alignés face au mur, ils entendaient derrière eux le bruit des armes qu’on chargeait : lugubre plaisanterie, sadique simulacre.

Au soir du 17 juillet, les malheureux sont emprisonnés au lycée Michelet. Avant d’êtres enfermés, les prisonniers furent interrogés de façon brutale. Dès le lendemain, les interrogatoires reprenaient. Les Allemands opéraient à l’entrée des cellules, les miliciens dans la cour, par groupes très largement espacés, dans le but de connaître l’organisation du maquis. Aucune nourriture ne fut donnée à ces hommes pendant trois jours. Les provisions apportées par les familles ne furent pas remises.

Une seule charge put être relevé contre la plupart d’entre eux : ils s’étaient rendus au maquis, mais ils y étaient restés fort peu de temps et n’avaient jamais été armés. Les charges les plus graves pesaient sur André Jouanny, membre du groupe Fantôme. Le bruit courut à Montricoux qu’ils allaient être relâchés : officieusement les familles en furent informées. Effectivement, Mazard et Borderies furent libérés le vendredi. Henry Jouanny, les frères Lespinet, Castel devaient l’être le lendemain. Mais un fait nouveau réveilla la colère et excita les passions : l’officier allemand, blessé aux Brunis, devint aveugle et mourut des suites de ses blessures. Une terrible sentence fit place à la mesure de clémence attendue : les prisonniers seraient pendus.
L ‘horreur au bout du gibet
Dans la nuit du 23 au 24 juillet, André Huguet, Henry Jouanny, Hugues Lespinet, tous trois de Montricoux, André Castel de Nègrepelisse, et Michel Mélamed, un ingénieur d’origine polonaise, furent conduits sur la place Maréchal Pétain pour y subir leur supplice. Ils ignoraient le sort qui les attendait.

On peut supposer que les tortures subies pendant une semaine les avaient considérablement affaiblis.

Deux témoignages contradictoires relatent les événements qui vont suivre.

Premier témoignage :

Selon le récit fait à l’époque par un témoin oculaire, le gardien de nuit du local de la Légion française des combattants, installé au premier étage de la maison, aujourd’hui Meubles Hugon, à côté du café de l’Europe, des hommes descendent d’un camion pendant que les Allemands préparent leur pendaison aux acacias

A la vue des sinistres préparatifs, soudain, c’est la fuite dans la nuit noire du couvre-feu. Les malheureux s’engouffrent dans le couloir de l’immeuble Hugon, traversent une petite cour qui se prolonge jusqu’à la rue des Soubirous-Bas. Avant d’y arriver, une fusillade les arrête. Plus ou moins atteints par les rafales, ils sont tous repris. Quatre sont pendus dos-à-dos aux deux acacias : André Castel, Henry Jouanny, André Lespinet, Michel Mélamed.

Hugues Lespinet, lui, s’est sauvé par le faubourg Lacapelle. Mitraillé, blessé, il atteint la rue des Doreurs. Il s’y engouffre, se traîne jusqu’au petit pont qui enjambe le ruisseau Lagarrigue, et se réfugie dans un jardin où il se cache. Ses appels restent sans réponse. Au petit jour, il est découvert et porté à l’hôpital où deux transfusions de sang successives ne peuvent compenser une trop abondante hémorragie. Il s’éteint au soir du 24 juillet, assisté de sa jeune épouse.

Ce récit est repris quelques années plus tard par France Féral, correspondante du Comité d’Histoire de la seconde guerre mondiale, qui précise :

« Le 23 juillet 1944, vers deux heures, des coups de feu furent tirés en direction du faubourg Lacapelle à Montauban et le gardien de la Paix de service face à la poste avisa aussitôt le commissariat.

Le brigadier de service envoya du renfort.

Les agents, en débouchant sur la place de la Préfecture, furent entourés de militaires de la Feldgendarmerie qui leur firent comprendre qu’ils avaient à se retirer.

Les autorités allemandes téléphonaient par la suite au commissariat afin de faire reprendre la garde sur la place. Les gardiens reprirent leur service devant la poste et ne virent rien d’anormal jusqu ‘au lever du jour où ils virent alors que quatre hommes étaient pendus à deux acacias devant le café de l’Europe.

Les corps furent identifiés comme étant ceux de quatre hommes : deux de Montricoux, et deux de Nègrepelisse, arrêtés le 17 juillet 1944.

Par ailleurs, le même jour, vers sept heures, fut découvert, rue des Doreurs, un blessé grave qui devait mourir le même jour dans la soirée à l’hôpital de Montauban.

Cet homme avait été arrêté également à Montricoux le 17 juillet et l’on suppose qu’il avait été blessé mortellement par les Allemands quand il tentait de se sauver.

Les auteurs de ces lâches assassinats étaient de la Feldgendarmerie et de la Gestapo

locale « .

Deuxième témoignage :

Madame Chazarain, petite fille des époux Petit, propriétaires du café le Raymond qui donne sur la place des Martyrs (ancienne place Maréchal Pétain), face au faubourg Lacapelle, a treize ans en 1944. Elle témoigne:

« La nuit du 23 au 24 juillet 1944, peu après minuit, nous entendons un bruit de camion sur la place. Mon grand-père ouvre les volets au premier étage, et avec lui, nous voyons un camion arrêté sous les acacias. Des soldats allemands et des miliciens reconnaissables â leur béret, en descendent. L’un d’eux se dirige vers le G.M.R. de garde devant la Préfecture, un autre vers le local des Renseignements Généraux à côté du café de l’Europe. Viennent-ils avertir de ne pas se préoccuper de ce qui va se dérouler sous leurs yeux ?

Dans la nuit noire, la cour de la Préfecture s’éclaire, puis retombe dans l’obscurité. Nous entendons alors distinctement comme un bruit sourd de chaînes traînées et des gémissements. Puis, des Allemands, à l’aide de lampes torches, éclairent les façades des maisons, balayant toutes les fenêtres pour voir s’il y avait des témoins de ce qui se préparait

Couchés à même le sol, volets entrouverts, les acacias de la place nous empêchent de distinguer dans la pénombre ce qui s’accomplit à quelques dizaines de mètres de nous.

Mais il n’y a pas eu de coups de feu, aucun tir, aucune fuite. Surtout vers le faubourg Lacapelle, puisque le café le Raymond est dans le prolongement du faubourg ».

Le matin du 24 juillet 1944, 4 corps pendent aux acacias de la place qui, plus tard prendra le nom de place des Martyrs.

Quant à Hugues Lespinet a-t-il essayé et réussi à fuir au sortir du lycée Michelet, dans la rue des Doreurs? Retrouvé à quelque cent mètres de là, dans un jardin, a-t-il été effectivement atteint par balle ? Le doute persiste.

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page170pgLes pendus : A. Castel, H. Jouanny, A. Lespinet, M. Mélamed


Le carrefour des Martyrs du 24 juillet 1944
Les Allemands voulaient faire un exemple et terroriser les populations. Aussi donnèrent-ils l’ordre aux cafés d’ouvrir leurs portes, les officiers s’installant eux-mêmes aux tables en terrasse. Nombreux furent les Montalbanais, circulant en ville, à passer, sans rien savoir, devant cet horrible spectacle. Finalement, après de longues tractations conduites en particulier par l’autorité préfectorale, les corps étaient livrés à 12 heures.

Le chef de bureau de la comptabilité, Amédée Pagès, put, caché dans la haie de lauriers-cerises de la préfecture, fixer par la photo cet événement odieux, pour le transmettre à l’Histoire,

Amenés à la morgue, les corps furent enterrés le 26 juillet, au cimetière de Montauban, après une brève cérémonie religieuse â la chapelle de l’hôpital.

Exhumés le 5 octobre, ils furent conduits à la cathédrale et, après un solennel office religieux, ramenés à Nègrepelisse et Montricoux.

Lucien Cadène, artiste peintre montalbanais (1887 – 1958), très marqué par les horreurs de la Guerre 1914 -1918, protesta contre la barbarie nazie, en représentant les pendus de Montauban, dans un tableau plein de réalisme intitulé : 24 juillet 1944, 10 heures du matin. Hommage aux martyrs de la Gestapo et de la milice de Darnand.

La municipalité de Montauban, répondant au vœu unanime de la population, a donné à ce lieu désormais sacré le nom de carrefour des Martyrs du 24 juillet 1944. Une dalle de pierre et une plaque de bronze, placée entre les deux acacias qui servaient de potence, perpétue cet acte barbare, indigne de la civilisation.

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page171pgPlace des Martyrs

Épilogue à l ‘horreur
Les témoignages divergent concernant les deux derniers otages de Montricoux : André Jouanny et Lucien Lespinet. Avaient-ils fui dans le désordre inhérent aux pendaisons de leurs camarades ? Avaient-ils été repris par la suite par les Allemands ? Le bruit de leur évasion courait. Les familles conservèrent jusqu’à fin août l’espoir de les revoir. Mais deux témoins oculaires que la présence des Allemands avait jusque-là tenus muets, se manifestèrent après la Libération ; Antonin Combebiac et Aimé Biraben habitaient deux fermes juxtaposées au lieu-dit  » Père-Bas  » entre la forêt de Montech et le bois de Boutanelle.

La forêt domaniale de Montech, traversée par la voie ferrée, avait été utilisée avant la guerre par l’armée française pour des dépôts d’essence et de munitions, près de la gare de Montbartier. Lorsque les Allemands occupèrent le Tarn-et-Garonne, le 11 novembre 1942, ils réquisitionnèrent ces dépôts, accroissant même leur importance. Une garnison assurait la surveillance avec soin et avait son P C. au château de Pérignon où logeait le capitaine Korn, les soldats ayant leur cantine près de la voir ferrée. Dans les siècles passés, les riches terres de la forêt avaient été converties en terres arables, si bien que du côté de Finhan, le bois de Boutanelle se trouve séparé de la forêt. Dans cet espace découvert, les Allemands avaient installé 7 postes de D. C. A. avec blockhaus de défense pour d’éventuels bombardements des aviations alliées.

Antonin Combebiac relate :  » Le 26 juillet 1944, une estafette allemande est venue vers nous et nous a ordonnés :  » Rentrez dedans et vite ! « . Ma femme, apeurée, croyant que l’on allait mettre le feu à la maison, a sauté par la fenêtre pour aller chez madame Biraben avec laquelle elle est restée. Aimé Biraben est alors monté sur l’étable des vaches, et là, il atout vu par un  » troubarrié  » (fente d’aération). Il était à 120 mètres environ du lieu-dit  » Châteauroux  » , près du château de Pérignon. Des soldats allemands ont creusé une tombe. Le capitaine Korn accompagné d’un milicien Joseph Kilian ont amené deux hommes, les ont attachés dos-à-dos. Le milicien a tiré un coup de revolver sur l’un d’eux qui s’est écroulé, entraînant l’autre dans sa chute. Des soldats allemands les ont alors jetés dans la tombe ; puis ils les ont recouverts de chaux et de verre. Aussi, je suppose que l’un des deux, au moins, est mort asphyxié. Epouvanté. Birahen n’a rien dit jusqu’au jour où les Allemands sont partis, trois semaines plus tard ».

Le champ de  » Châteauroux  » appartient à Elie Mathaly, de  » Petit « . Ce dernier raconte :  » Au lendemain du 26 juillet, Biraben m’a interpellé:  » Vous allez aux betteraves…. Là où il en manque cinq ou six du côté du château, n y passez pas I « . Ce n ‘est que trois semaines après qu ‘il dévoila la vérité. Les Combebiac et les Biraben nous ont dit que c’était la tombe de deux maquisards. L’un avait été enterré vivant, l’autre tué d’une balle au cœur. Ils étaient attachés par des cordes de cheval, à 1 mètre 20 de profondeur, recouverts de 20 cm de chaux. Je les ai déterrés avec mon fils Maurice qui a voulu me suivre et le garde champêtre Jean Saint-Arroman, Nous avons été aidés par six aviateurs français en garde aux dépôts d’essence depuis le départ des Allemands qui n’avaient pu tout faire sauter. C’est le docteur Parrot, de Montech, qui a fait l’autopsie. Arsène Roumagnac avait apporté les cercueils, et il les a conduits à la mairie ».

Extrait du registre des actes de décès pour l’année 1944, n° 27, transcrit et signé par le président du comité de la libération de Montricoux, on peut lire :  » le 20 août 1944, 16 heures, au quartier Châteauroux, nous avons constaté le décès paraissant remonter au 26 juillet 1944 de Lucien Lespinet et André Jouanny, domiciliés à Montricoux ».

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Lycée Michelet

Les martyrs des 24 et 27 juillet 1944
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