Page 88- 91 du Livre « Cinquantenaire  Libération de Montauban et du Tarn et Garonne »

23 – 24juillet 1944

Les Allemands avaient occupé Montauban au matin du 11 novembre 1942, et, immédiatement, exécutant un plan préétabli, procédé aux réquisitions nécessaires pour leur installation. La kommandantur avait son siège à l’hôtel du Commerce, place de la Cathédrale, alors que la Gestapo logeait à l’ancien hôtel du général de la place, au faubourg du Moustier. La Feldgendarmerie résidait en face de la gare, à l’hôtel Terminus, et quelque temps après, un soldatenheim (foyer de soldats) fut créé place Lalaque.

La milice, en juin 1944, s’était installée au lycée des jeunes filles, ayant préféré au dernier moment le lycée Michelet au petit séminaire de Montauriol. C’est ainsi que l’on vit, deux mois durant, les francs-gardes devant le 22 faubourg Lacapelle.

L’ambiance était tendue depuis le débarquement du 6 juin et le départ pour le front de Normandie du gros de la division Das Reich. Les quelques compagnies, restées pour le maintien de l’ordre, avaient pour première mission la lutte contre le terrorisme. Les unités de la milice leur servaient d’auxiliaires.

Les exécutions, incendies, prises d’otages, pendaisons, s’étaient ainsi multipliés depuis trois mois : Montpezat, Perches, Cabertat, Dunes, Montricoux, Les Brunis. L’on attendait le pire.

Après le combat des Brunis, le 17 juillet, 9 otages restaient aux mains des Allemands : Borderies, Castel, Huguet, les frères Jouanny, les frères Lespinet, Mazard, Mélamed. Ils furent emmenés à Montauban. En route, ils eurent à subir les mauvais traitements d’un milicien venu en renfort qui s’acharna, sans raison, sur André Jouanny. Ils furent conduits tout d’abord à l’hôtel du Commerce. Ordre fut donné aux captifs de descendre des camions. Un sous-officier ajouta: « Entrez là. On va vous tuer ». Introduits dans l’ancienne salle à manger du restaurant, ils virent les hauts lambris tâchés de sang. Alignés face au mur, ils entendaient derrière eux le bruit des armes qu’on chargeait : lugubre plaisanterie, sadique simulacre.

Au soir du 17 juillet, ils aboutirent au quartier de cavalerie. Avant d’être enfermés dans les cellules de la caserne, les prisonniers furent interrogés, leur identité vérifiée, leurs portefeuilles vidés de leur contenu. Ainsi, 600 francs furent extorqués à Mazard, 1 500 à Mélamed. Les autres, ayant été arrêtés pendant leur travail, n’avaient rien sur eux. Aucune nourriture ne fut donnée à ces hommes pendant trois jours. Les provisions apportées par les familles n’avaient pas été remises.

Dès le lendemain, les interrogatoires reprenaient. Les Allemands opéraient à l’entrée des cellules, les miliciens dans la cour, par groupes très largement espacés, dans le but de connaître l’organisation du maquis.

Une seule charge put être relevée contre la plupart d’entre eux : ils s’étaient rendus au maquis, mais ils y étaient restés fort peu de temps et n’avaient jamais été armés. Les charges les plus graves pesaient sur André Jouanny, membre du groupe Fantôme. Le bruit courut à Montricoux qu’ils allaient être relâchés : officieusement les familles en furent informées. Effectivement, Mazard et Borderies furent libérés le vendredi. Henry Jouanny, les frères Lespinet, Castel devaient l’être le lendemain. Mais un fait nouveau réveilla la colère et excita les passions : un officier allemand, blessé aux Brunis, devint aveugle et mourut des suites de ses blessures. Une terrible sentence fit place à la mesure de clémence attendue : les prisonniers seraient pendus.

Dans la nuit du 23 au 24 juillet, André Huguet, Henry Jouanny, Hugues Lespinet, tous trois de Montricoux, André Castel de Nègrepelisse, et Michel Mélamed, un ingénieur d’origine polonaise, furent conduits sur la place Maréchal-Pétain pour y subir leur supplice. Ils ignoraient le sort qui les attendait.

Selon le récit fait à l’époque par un témoin oculaire, le gardien de nuit du local de la Légion française des combattants, installé au premier étage de la maison, aujourd’hui Meubles Hugon, à côté du café de l’Europe, des hommes descendent d’un camion pendant que les Allemands préparent leur pendaison aux acacias.

A la vue des sinistres préparatifs, soudain, c’est la fuite dans la nuit noire du couvre-feu. Les malheureux s’engouffrent dans le couloir de l’immeuble Hugon, traversent une petite cour qui se prolonge jusqu’à la rue des Soubirous-Bas. Avant d’y arriver, une fusillade les arrête. Plus ou moins atteints par les rafales, ils sont tous repris. Quatre sont pendus dos à dos aux deux acacias : André Castel, Henry Jouanny, André Lespinet, Michel Mélamed.

Hugues Lespinet, lui, s’est sauvé par le faubourg Lacapelle. Mitraillé, blessé, il atteint la rue des Doreurs. Il s’y engouffre, se traîne jusqu’au petit pont qui enjambe le ruisseau Lagarrigue, et se réfugie dans un jardin où il se cache. Ses appels restent sans réponse. Au petit jour, il est découvert et porté à l’hôpital où deux transfusions de sang successives ne peuvent compenser une trop abondante hémorragie. Il s’éteint au soir du 24 juillet, assisté de sa jeune épouse.

Le matin du 24 juillet 1944, 4 corps pendent aux acacias de la place qui, plus tard, prendra le nom de place des Martyrs.

Les Allemands voulaient faire un exemple et terroriser les populations. Aussi donnèrent-ils l’ordre aux cafés d’ouvrir leurs portes, les officiers s’installant eux-mêmes aux tables en terrasse. Nombreux furent les Montalbanais, circulant en ville, à passer, sans rien savoir, devant cet horrible spectacle. Finalement, après de longues tractations conduites en particulier par l’autorité préfectorale, les corps étaient livrés à 12 heures.

Le chef de bureau de la comptabilité, Amédée Pagès, put, caché dans les lauriers de la préfecture, fixer par la photo cet événement odieux, pour le transmettre à l’Histoire.

Amenés à la morgue, les corps furent enterrés le 26 juillet, au cimetière de Montauban, après une brève cérémonie religieuse à la chapelle de l’hôpital.

Exhumés le 5 octobre, ils furent conduits à la cathédrale et, après un solennel office religieux, ramenés à Nègrepelisse et Montricoux.

Lucien Cadène, artiste peintre montalbanais (1887 – 1958), très marqué par les horreurs de la guerre 1914 – 1918, protesta contre la barbarie nazie, en représentant les pendus de Montauban, dans un tableau plein de réalisme intitulé : « 24 juillet 1944, 10 heures du matin. Hommage aux martyrs de la Gestapo et de la milice de Darnand ».

La municipalité de Montauban, répondant au vœu unanime de la population, a débaptisé cette place, désormais appelée place des Martyrs. Une dalle de pierre, placée entre les deux acacias qui servaient de potence, perpétue cet acte barbare, indigne de la civilisation. Sur la plaque de bronze, on peut lire :

Le 24 juillet 1944 furent découverts, pendus aux acacias bordant cette dalle, les corps de : André Castel, 37 ans, de Nègrepelisse, Henry Jouanny, 39 ans, de Montricoux, André Huguet, 49 ans, de Montricoux, Michel Mélamed, 39 ans, de Caussade, arrêtés dans le village le 17 juillet, privés de nourriture, mitraillés sur place dans la nuit du 23 juillet par des soldats S.S. allemands.

Leur camarade : Hugues Lespinet, 33 ans, de Montricoux, s’enfuit et fut retrouvé, criblé de balles, râlant, dans la rue des Doreurs.

Français ! N’oubliez jamais la barbarie nazie. N’oubliez jamais que la milice fut instigatrice et complice de ces crimes.

Les témoignages divergent concernant les deux derniers otages de Montricoux : André Jouanny et Lucien Lespinet. Avaient-ils fui dans le désordre inhérent aux pendaisons de leurs camarades ? Avaient-ils été repris par la suite par les Allemands ? Le bruit de leur évasion courait. Les familles conservèrent jusqu’à fin août l’espoir de les revoir. Mais deux témoins oculaires que la présence des Allemands avaient jusque-là tenus muets, se manifestèrent après la Libération : Antonin Combebiac et Aimé Biraben habitaient deux fermes juxtaposées au lieu-dit « Père-Bas » entre la forêt de Montech et le bois de Boutanelle.

La forêt domaniale de Montech, traversée par la voie ferrée, avait été utilisée avant la guerre par l’armée française pour des dépôts d’essence et de munitions, près de la gare de Montbartier. Lorsque les Allemands occupèrent le Tarn-et-Garonne, le 11 novembre 1942, ils réquisitionnèrent ces dépôts, accroissant même leur importance. Une garnison assurait la surveillance avec son P.C. au château de Pérignon où logeait le capitaine Korn, les soldats ayant leur cantine près de la voie ferrée. Dans les siècles passés, les riches terres de la forêt avaient été converties en terres arables, si bien que du côté de Finhan, le bois de Boutanelle se trouve séparé de la forêt. Dans cet espace découvert, les Allemands avaient installé 7 postes de D.C.A. avec blockhaus de défense pour d’éventuels bombardements des aviations alliées.

Antonin Combebiac relate : « Le 26 juillet 1944, une estafette allemande est venue vers nous et nous a ordonné : « Rentrez dedans et vite ! ». Ma femme, apeurée, croyant que l’on allait mettre le feu à la maison, a sauté par la fenêtre pour aller chez M » » Biraben avec laquelle elle est restée. Aimé Biraben est alors monté sur l’étable des vaches, et là, il a tout vu par un « troubarrié » (fente d’aération). Il était à 120 mètres environ du lieu-dit « Châteauroux », près du château de Pérignon. Des soldats allemands ont creusé une tombe. Le capitaine Korn, accompagné d’un milicien : Joseph Kilian, ont amené deux hommes, les ont attachés dos à dos. Le milicien a tiré un coup de revolver sur l’un d’eux qui s’est écroulé, entraînant l’autre dans sa chute. Des soldats allemands les ont alors jetés dans la tombe ; puis ils les ont recouverts de chaux et de verre. Aussi, je suppose que l’un des deux, au moins, est mort asphyxié. Épouvanté, Biraben n’a rien dit jusqu’au jour où les Allemands sont partis, trois semaines plus tard ».

Le champ de « Châteauroux » appartient à Elie Mathaly, de « Petit ». Ce dernier raconte : « Au lendemain du 26 juillet, Biraben m’a interpellé : « Vous allez aux betteraves… Là où il en manque cinq ou six du côté du château, n’y passez pas ! » Ce n’est que trois semaines après qu’il nous dévoila la vérité. Les Combebiac et les Biraben nous ont dit que c’était la tombe de deux maquisards. L’un avait été enterré vivant, l’autre tué d’une balle au cœur. Ils étaient attachés par des cordes de cheval, à 1 m 20 de profondeur, recouverts de 20 cm de chaux. Je les ai déterrés avec mon fils Maurice qui a voulu me suivre et le garde champêtre Jean Saint-Arroman. Nous avons été aidés par six aviateurs français en garde aux dépôts d’essence depuis le départ des Allemands qui n’avaient pu tout faire sauter. C’est le docteur Parrot, de Montech, qui a fait l’autopsie. Arsène Roumagnac avait apporté des cercueils, et il les a conduits à la mairie ».

Extrait du registre des actes de décès pour l’année 1944, n° 27, transcrit et signé par le président du comité de la libération de Montricoux, on peut lire : « le 20 août 1944, 16 heures, au quartier Châteauroux, nous avons constaté le décès paraissant remonter au 26 juillet 1944 de Lucien Lespinet et André Jouanny, domiciliés à Montricoux. »

Le 26 août, Montricoux fit à ses derniers martyrs de dignes funérailles. Jamais certainement assistance aussi nombreuse et aussi recueillie n’avait été réunie dans la nef de la vieille église. Les camarades des deux disparus étaient venus de toutes les communes avoisinantes. Les cercueils étaient encadrés par un piquet de soldats en armes. Le cortège s’allongeait, interminable à travers la petite cité, jusqu’au cimetière. Une volonté d’union rapprochait tous les cœurs, les rassemblant dans un même sentiment de gratitude pour ces hommes qui étaient morts pour la liberté.
Fôret de Montech – Bois de Boutanelle.

Une stèle, au bord de la route en face du château de Pérignon, rappelle le martyre de Lucien Lespinet et André Jouanny.

L’horreur au bout du gibet
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