Pages 191-196 du Livre « Afin que Mémoire Demeure »

Résistance et déportation voilà deux mots qu ‘il convient de ne jamais oublier.

En effet, un devoir s’impose : celui de se souvenir. Et, ce devoir de mémoire ne doit pas être une démarche approximative, une mode au caractère superficiel.

Pour insister sur ce lien impérieux entre devoir de mémoire et celui de vérité historique, je rapporterai successivement quelques citations de grands écrivains.

Montesquieu écrivait : »   on a bien tort de ne pas dire la vérité quand on peut, car

on ne la dit pas toujours quand on veut « . Péguy poursuivait :  » qui ne gueule pas la vérité quand il sait la vérité se fait

complice des menteurs et des faussaires « . Bernanos rajoutait :  » les martyrs ont été jusqu ‘au bout de la souffrance,

nous leur devons d’aller jusqu ‘au bout de la vérité  » Eluard mettait en garde:  » si l’écho de leurs voix faiblit nous périrons. Gide concluait :  » toutes choses sont dites déjà, mais comme personne n ‘écoute, il faut toujours recommencer  »
Nous voilà réunis entre deux dates historiques capitales : le 18 juin 1940 dont l’appel comme  » un phare dans les ténèbres  » offrit à tous ceux qui ne voulaient pas vivre à genoux la voix de Londres et le chemin de la résistance pour recouvrer la liberté, l’honneur et la grandeur de la France, et le 8 mai 1945 dont on vient de célébrer, en trop petit nombre à mon avis, la fin d’un des deux totalitarismes du XXe siècle : à savoir le nazisme qui au nom d’une idéologie ignominieuse avait institué méthodiquement la destruction d’êtres humains  » jetés de l’autre côté des vivants « .

Aujourd’hui, la connaissance du déroulement et de l’issue de la guerre pourrait laisser croire que le choix de la Résistance était simple et clair et allait de soi. En 1940, il en était autrement.

Pour les Français, il était impossible de s’accommoder à l’occupation, à la misère, à l’humiliation, au mensonge alors qu’à force de céder et en croyant au miracle  » dans un lâche soulagement « , nos dirigeants avaient pensé que Hitler s’arrêterait et que la paix pourrait s’acheter à n ‘importe quel prix.

Pour tous ceux qui ne l’ont pas subie, il est difficile d’imaginer ce que représente l’occupation avec ses contraintes physiques, psychologiques, morales insupportables. Je pense en avoir eu une faible idée dans Beyrouth occupée par les troupes syriennes.

A ce refus de l’occupation s’ajoutait celui de l’asservissement et d’imposition d’une idéologie inhumaine.

Au commencement les rangs étaient clairsemés : 50000 Français seulement seront immatriculés dans les réseaux de résistance à Londres. Mais il ne sert à rien de s’appesantir sur les retardataires, les  » résistants de la onzième heure  » Les résistants en France, de 1940 à 1944 représentèrent 5 % de la population. Bernanos a résumé la situation :  » un sentiment inavouable a été en 1940 – hélas – celui d’un grand nombre de Français et qu’on pourrait exprimer ainsi : c’est embêtant d’être battus, mais la guerre est finie « .

Le patriotisme fut un des moteurs de la Résistance et contribua à souder dans l’adversité des hommes et des femmes qui étaient totalement séparés par les origines sociales, les opinions, les convictions religieuses. Rappelez-vous  » ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas « .

La Patrie, quel mot ringard rétorqueront certains avec un sourire convenu. En citant Marc Bloch, Je laisse à ce Français d’origine juive, éminent historien médiéviste, titulaire de la croix de guerre 14-18, le soin de donner une leçon qui ne supporte aucune réplique à tous ceux qui cherchent à rayer ce mot du dictionnaire :

La France, dont certains conspireraient volontiers à m’expulser aujourd’hui et peut-être (qui sait ?) y réussiront, demeurera quoi qu’il arrive, la patrie dont je ne saurai déraciner mon cœur. J’y suis né, j’ai lu aux sources de sa culture, j’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel et je me suis efforcé à mon tour de la défendre de mon mieux « .

Par avance il offrait son sang.

J’ai relevé d’autres paroles toutes aussi édifiantes. Elles émanent de résistants déportés :  » il n’est pas de salut sans une part de sacrifice ni de liberté nationale qui puisse être pleine si on n’a travaillé à la conquérir soi-même « ,  » Jusqu’à la pierre tombale nous n’aurons jamais payé pour tout ce que la Patrie a fait durant des siècles « ,  » la Patrie, les formes les plus apparentes de l’attachement à son pays nous aidaient à survivre. Le 14 juillet à Dora, nous avons tous chanté la Marseillaise. Cela nous a tous bouleversés . »

A l’indéfectible souvenir de tous ces patriotes, de tous ces condamnés qui trouvaient encore le courage de fredonner, souvent avec de poignants sanglots, quelques notes de l’hymne national, avant de tomber pour toujours, brisés dans leur chair mais pas dans leurs convictions et leur attachement à leur Pays, il n’est pas acceptable et difficilement pardonnable de voir, à quelques mois d’intervalle, le symbole originel de la République être maltraité.

En remontant au début du siècle, ce n ‘est pas un traîneur de sabre, un va-t-en guerre qui témoignait aussi de son amour de la France en écrivant :

 » France veux-tu mon sang ?
Il est à toi ma France.
S’il te faut ma souffrance
Souffrir sera ma loi,
S’il te faut ma mort,
Mort à moi,
Mais vive toi ma France ! « ,

mais un artiste peintre animé de l’amour pour son pays malgré un handicap physique, à savoir Toulouse-Lautrec.

Il convient de souligner que les juifs, victimes de l’affreuse législation de Vichy, (statut d’octobre 1940), virent dans la persécution une raison supplémentaire de s’affirmer français. Comme l’adversaire voulait les séparer des autres Français, certains décidèrent de participer aux mouvements de résistance.

Cette démarche n ‘est en aucune manière surprenante car dans la tradition du civisme républicain il n’y a pas de place pour deux allégeances publique, et, l’allégeance à la France l’emporte sur les autres solidarités.

L’état républicain fort fait admettre et comprendre les règles communes en soulignant que l’intérêt général prévaut sur tous les intérêts particuliers aussi respectables et légitimes qu ‘ils puissent être.

La déportation prolongea la résistance. La déportation, durant la seconde guerre mondiale, eut pour but la lente élimination des uns et l’extermination d’autres qui pris la forme d’un génocide pour les juifs en particulier dès l’automne 1942. Sur près de 150000 personnes déportées, 80 000 dont la moitié survivra, le seront pour des motifs politiques et, 75000 dont 22 000 Français pour des raisons raciales. Il n’ en reviendra seulement 2500.

 » Ils ont quitté leur toit, leur terre et, tête nue, ils ont pris le chemin tout droit de la mort inconnue. »

Lorsque Maurice Schuman rencontra Edmond Michelet à la libération du camp de Dachau, ce dernier lui confia :  » tu vas voir, tu vas pleurer, mais tu ne comprendras pas. Pour comprendre, il faut avoir été ici avec la mort « .

Vouloir retracer le calvaire de tous ces êtres est une démarche qui ne devra jamais s’interrompre. Mais, avec la disparition des derniers survivants, qui pourra continuer à rendre compte de l’insoutenable ?

L’inhumain, la cruauté, sont difficilement descriptibles par ceux qui n’y ont pas été confrontés. L’exercice sera difficile car il ne faut ni glisser dans un morbide déplacé, ni banaliser, ni laisser supposer une certaine complaisance à exposer les étapes abominable de cette descente aux enfers. Mais il faut que l’insupportable reste une balise, une référence certes embarrassantes pour la conscience des vivants mais ô combien nécessaire.

Le révérend père Riquet témoignait avec simplicité.  » nu et dépourvu de tout, chacun pouvait faire le bilan de ce qui lui reste de personnel quand lui sont arrachés tous les signes extérieurs de richesse, d’honneur et de respectabilité . »

Bruno Bettelheim résumait avec la même discrétion l’enfer :  » aussi misérable que soit le monde où nous vivons, il est aussi différent de l’univers concentrationnaire que la nuit du jour, l’enfer du salut et la mort de la vie. »

Il existe donc des mots des phrases dont le pouvoir évocateur est plus fort que certaines expressions par trop réalistes. Est-il nécessaire d’être trop cru alors qu ‘il convient de s’attacher à respecter le délabrement physique et moral qui accablait tous ceux qui ne sont jamais revenus ?

Dans les productions littéraires et artistiques dénuées de toute fioriture, dans une sobriété, une pureté sublime, une sensibilité à fleur de peau, les mots et les graphismes revêtent une charge émotionnelle qui nous étreint. Paradoxalement à l’asservissement, à l’inqualifiable déshumanisation, à la négation de la dignité et l’élémentaire respect de la personne humaine, hommes et femmes dans leur terrible et immense détresse ont fait preuve avec de magnifiques lueurs d’amour, de puissants sursauts d’espérance insoupçonnables, d’accents de totale générosité, de trésors d’ingéniosité pour écrire, noter, dessiner et graver.

Dans ce cadre de violence extrême, d’abominations exécrables et inimaginables, des hommes et des femmes ont su faire reculer les limites codifiées du courage, de l’entraide, de l’amitié, de la solidarité.

Ils ont forcé notre admiration et notre respect ; nous ne devrons jamais les oublier.

Général (cr) Claude Mouton

Résistance et déportation, Général (cr) Claude Mouton
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