Pages 134-147 du Livre « Afin que Mémoire Demeure »

Les compagnies de l’Armée Secrète du Sud de la Garonne

2ème Compagnie, cantons de Grisolles et Villebrumier

10ème Compagnie, cantons de Beaumont, Lavit et Montech

13ème Compagnie, cantons de Valence d’Agen et Auvillar (première partie)

13ème Compagnie, cantons de Valence d’Agen et Auvillar (deuxième partie)
par Pierre Demathieu

DUNES le 3 Juin 1944

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page134pgLe tragique balcon utilisé par les S.S. Allemands de la division  » Das Reich
pour accomplir leur œuvre de mort

Dunes
Devant la population assemblée du village, onze martyrs furent pendus au balcon de la Poste. Il s’agit de: Louis Dufour, Martial Martin, Jean Peleran, Paul Masson, Yvon Dubure, Gaston Sieurac, Franck Saint-Martin, Maurice Mauquie, Marcel Tonnele, Roger Dublin, Isodore Martin. Deux furent abattus à la mitraillette: Jacques Moussaron et Jean Jeambert. Carpuat Georges fut tué à coups de sabre, Joseph Vidalot et Guillaume Lacaze, sérieusement blessés, furent laissés pour morts.

L’œuvre de mort était terminée. Les Allemands se mettent à boire et à chanter. Ils dévalisent un café voisin, tandis que les onze cadavres restent suspendus au balcon de la poste, si serrés que les corps se touchent.

Puis Dunes est mis à sac.

Mais une estafette motocycliste arrive, portant un ordre.

Les Allemands repartent pour Valence d’Agen , leur cantonnement en emportant tout ce qu’ils ont pillé sur un camion volé à M. Roubelet, à qui, un moment auparavant, ils avaient passé la corde au cou pour le pendre, sans donner suite.

C’est en cette circonstance fortuite que les habitants de Sistels, le village voisin qui abritait le  » Maquis  » où les Allemands avaient dit qu’ils allaient ensuite, échappèrent à leur terrible destin, et Dunes à la destruction.

Très douloureusement ressenti par la 13e Cie qui eut plusieurs de ses amis parmi les suppliciés, celle-ci participa avec acharnement à la recherche des responsables qui avaient rédigé la dénonciation sur un cahier d’écolier déposé à la Kommandantur de Valence d’Agen et tombé entre nos mains. Il s’agissait de deux femmes, Mmes Carmen Sopetti de Dunes et Marie Bodoira de Malause.

Arrêtées le 20 août 1944 et jugées le plus régulièrement du monde par un Conseil de Guerre tenu au château de Piquecos, dans les environs de Montauban, et non par un Tribunal Populaire tenu à Dunes comme il a été écrit, elles furent condamnées à mort et la 13e Cie A.S. fut chargée de l’exécution de la sentence.

C’est le 1er septembre 1944, dans l’après-midi, que celle-ci fut réalisée par pendaison à Dunes où elles furent conduites en suivant le trajet  » Valence d’Agen – Lamagistère -St-Sixte – Caudecoste – Dunes « emprunté par leurs  » complices  » S.S. le 23 juin 1944.

Une foule imposante, mais digne, assista à la pendaison des traitres, non au balcon des  » martyrs  » comme certains l’ont écrit, mais à un platane de la place Roubelet.

Au moment de l’exécution, Mme Carmen Sopetti demanda pardon pour le mal qu’elle a fait. Maria Bodoira ne manifesta aucun remord, injuriant même sa complice, la rendant responsable de sa mort.

Le 30 juin 1944, à 2h30 du matin, sabotage du pont de Roux sur la R.N. 113 Bordeaux – Toulouse. L’ouvrage d’art enjambe le canal latéral à la Garonne; il est situé en limite des communes de Valence d’Agen et de Golfech. Il a une importance considérable pour le trafic routier. Trois charges explosives de plastic ont été déposées.
Les dégâts ont été très importants mais l’ouvrage n’a pas été détruit. La circulation a été interrompue durant plus de 5 mois, sauf pour les véhicules légers. La remise en service du pont, après travaux effectués par l’entreprise Bardin de Montauban, n’aura lieu qu’au mois de mars 1945.

Après le 23 juin 1944 et ses atrocités, le secteur est calme pour la 13e Cie A.S., en dehors des actes de sabotage habituels contre les lignes d’électricité, de téléphone, de la voie ferrée, avec celui de l’aqueduc de Negueville, situé au PK sur la ligne Bordeaux- Marseille, sur la commune de Lamagistère.

Le 10 juillet 1944, un commando de la 13e Cie reçoit l’ordre d’aller à Castelsagrat afin d’arrêter un dangereux milicien de l’équipe valencienne, ayant participé en Charente, avec des soldats allemands, à des expéditions contre des maquis.

Après avoir accompli, non sans difficulté, la mission commandée, la traction-avant de la 13e Cie, ayant à son bord Merle, Bernadet, Barnac, Lecler et leur prisonnier ES… dont nous ne citerons pas le nom en raison de la présence de membres proches encore vivants-regagnait, drapeau tricolore déployé, le  » Bois Grand « , lorsque, au bas de St-Antoine, au lieudit  » Sexere « , deux camions militaires allemands chargés de soldats obligèrent la voiture à stopper et à ses occupants à engager le combat.

Celui-ci fut des plus violents, mais les Allemands, supérieurs en nombre et en armement, obligèrent nos maquisards à décrocher. Utilisant la connaissance du terrain, et en particulier les immenses champs de maïs bordant la route, ils atteignirent la rivière « l’Arratz » qu’ils franchirent sur un guet connu de Merle. Cette manoeuvre leur permit d’échapper à l’ennemi et de regagner le maquis, en portant Raymond Bernadet, blessé sérieusement par balle à un pied. Au cours de cet engagement, 5 soldats allemands furent tués et 2 blessés; confirmation en fut faite par un Alsacien-Lorrain, ayant participé au combat, lors d’une conversation avec un réfugié civil alsacien domicilié à Valence d’Agen depuis 1940.

Pour la 13e Cie A.S., le résultat final se soldait par la perte de la voiture, de la disparition du milicien, qui avait profité de cet événement imprévu pour fuir dans la nature, et la blessure de Bernadet, dit « Titi ». Menacé, au bout de quelques jours d’infection, il fut transporté à Fleurance, à la clinique du docteur Prince qui évita de justesse l’amputation du pied. En bref opération négative, si ce n’est la mort de cinq Allemands.

Nous apprîmes le soir même de l’engagement que le groupe d’Allemands rencontré à « Sexere » appartenait à la compagnie S.S. de Pontonnier secteur postal n° 29573, cantonné à Valence d’Agen, qu’il revenait d’une expédition punitive contre la ferme de Charles Castarède, située au lieu – dit  » Ferrière  » à Flamarens, alors qu’il appartenait à un maquis FTP du Gers; à défaut de trouver celui qu’ils recherchaient, ces brutes sanguinaires avaient pendu, à un arbre situé devant la maison, sa mère Jeanne Castarède, la servante Clémentine Lacouture, et tué d’un coup de révolver, donné par l’adjudant-chef commandant ce groupe d’assassins, Albert Lacouture, l’employé agricole de la ferme.

Ce fut, bien sûr, le pillage de la maison et les beuveries habituelles lors de ce genre d’opération.

Certainement insatisfaits, ils revenaient 8 jours après sur le lieu du crime pour mettre le feu à la maison et à l’étable, qui furent entièrement détruites.

Au bord de la route, une stèle rappelle ce triple crime commis par une horde sauvage de soldats nazis, le 10 juillet 1944.

Coïncidence ou vengeance, le lendemain 11 juillet 1944, une rafle, organisée par les miliciens du groupe du chef valencien René Bertrand, mettait en état d’arrestation à Valence d’Agen plusieurs membres de la 13e Cie A.S. : Gontrand Débandé, Raymond Moulis, Raoul Laurent, Georges Lagnes, Joseph Mallevialle, Maurice Matisson.

Debande, Laurent, Mallevialle furent dirigés sur la prison St. Michel à Toulouse, les trois autres sur le lycée de Montauban, siège départemental de la milice.

Raymond Moulis, Georges Lagnes, Maurice Matisson, furent relâchés du siège de la milice à Montauban dans les 3 jours, après un interrogatoire sévère, mais restant dans la limite de la correction.

Gontrand Debande et Raoul Laurent, envoyés à la prison St.-Michel à Toulouse, eurent moins de chance. Après des interrogatoires « musclés », ils retrouvèrent la liberté à la libération de Toulouse le 20 août, après avoir évité de peu la déportation.

Joseph Mallevialle, envoyé lui aussi à Toulouse, retrouva la liberté dans les 5 jours.

Le 15 juillet 1944, fut marqué par l’arrestation de Juifs à Lamagistère par la Gestapo venue d’Agen. Il s’agit de: Jespas Magerchote née Zulta – 35 ans, David Rauchewerger 47 ans, Juda Slucky – 43 ans, Taubas Weber – 26 ans et sœur de Jacques Weber, membre de la 13eCie A.S.,Anna Rosemblum née Roth – 36 ans, Jules Alexander – 62 ans, Guillaume Morvan – 28 ans.

Tous furent déportés au camp d’Auchwitz, où ils moururent.

Vers la fin juillet 1944, le P C. de la milice opérant dans la région de Valence d’Agen situé au lieu- dit « la glacière » sur la R.N. 113, près de la commune de Goudourville, est attaqué et mis à sac par un commando de la 13e Cie A.S.

Le chef Paul Roudié, est absent; il échappe au châtiment qui lui était destiné. De nombreux documents importants sont récupérés, avec le fichier complet des miliciens et des francs-gardes de la compagnie. Le local est ensuite complètement détruit

En ce début du mois d’août 1944, le maquis du  » Bois Grand  » semble peu sûr, et les miliciens et les Allemands cantonnés à Agen projettent de l’attaquer avec de puissants moyens.

Ces renseignements nous sont fournis par des camarades du C. F P. Cela oblige la 13e Cie A.S. de changer souvent d’endroit. Nous nous trouvons dans les bois près de Sistels (82), tantôt dans les bois de Cuq (47) ou dans les bois de Gimbrede Gers). Au mois d’août 1944, nous logions à la ferme des  » Haïtes  » dans le Gers. C’est là que le dimanche 20 août 1944, la 13e Cie A.S. de Tarn et Garonne se mit en route pour aller libérer Valence d’Agen.

Depuis le 15 août 1944, les troupes allemandes de la Wermarch cantonnées à Valence, au nombre d’environ 600 soldats, préparaient leur retraite, et les résistants valen-ciens, dont le chef était Antonin Ver, alias capitaine  » Nito « , suivaient très attentivement l’évolution de la situation.

Voulant éviter le risque possible de représailles sur la population, un affrontement pouvant tourner au tragique pour la cité, il fut raisonnablement décidé par les responsables civils et militaires que les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.l.) de la 13eCie de A.S. de Tarn et Garonne « Maquis de Sistels » commandées par Georges Trenac, alias  » Tellier  » , instituteur de Lamagistère, ne pénétreraient dans Valence qu’après le départ des Allemands.

L’ordre leur en fut donné le 20 août 1944 au matin et la population de Valence d’Agen leur fit un accueil enthousiaste.

La ville administrée par les représentants reconnus de la résistance, placée sous la protection de la 13e Cie, appartenant aux F.F.I., pouvait fêter sa libération survenue sans effusion de sang.

Dès le samedi 19 août 1944, les officiers et les soldats allemands arrêtent dans la rue camions, voitures, bicyclettes, qu’ils réquisitionnent sous la menace de leurs révolvers ou de leurs mitraillettes. Ils perquisitionnent dans les maisons et garages à la recherche d’un moyen quelconque de transport.

Dans l’après-midi, une colonne d’environ 500 hommes venant d’Agen fait son apparition. Les soldats sont encore en ordre par section, à pied ou à bicyclette.

La garnison se rassemble à la sortie de la ville, route de Moissac. Des équipes de soldats vident les cantonnements et jettent dans le canal des munitions, des armes brisées, des grenades, etc…

Vers 8 heures, la garnison quitte Valence et se dirige vers Moissac. L’arrière garde partira vers 22 heures, à pied, pour rejoindre le bataillon stationné au stade de Lantourne, où il passera la nuit.

La nouvelle du départ éclair des troupes ennemies se propage rapidement, mais attention, elles sont encore tout prés. La nuit se passe calmement. On entend dans les environs de nombreuses explosions et des coups de feu d’armes automatiques et individuelles.

Le lendemain dimanche 20 août, les troupes qui stationnaient à Lantourne sont sur le départ. Le drapeau nazi flottant sur la mairie de Valence est enlevé et remplacé par le drapeau tricolore sur lequel figure de nouveau  » République Française « .

Vers 10 heures, une patrouille du maquis comprenant deux voitures fait son apparition dans les rues de Valence. Les F.F.I. sont acclamées. Après avoir opéré à diverses opérations de contrôles et l’arrestation du chef milicien René Bertrand et du milicien Combes, qui sera jugé à Toulouse par un tribunal militaire et condamné à mort, ils rejoignent leurs camarades stationnés aux portes de la ville.

A 14 heures, la 13e Cie FFI., forte de 130 soldats de l’ombre et comprenant de nombreux Valenciens, fait son entrée dans la ville, sous la conduite du capitaine  » Nito  » et du lieutenant  » la Santé « . Sous les acclamations enthousiastes de la population, elle se rend au monument aux morts, où le capitaine  » Nito  » dépose une gerbe aux couleurs tricolores et harangue la foule qui entonne une vibrante  » Marseillaise « .

Accompagné d’un détachement, Antonin Ver se rend à la mairie, déjà occupée par un commando F.T.P. venu du Lot pour s’en emparer. Devant la détermination des hommes de la 13e Cie A.S. et de leur chef, ils se retirent, non sans mal. L’affrontement a été évité de justesse.

Antonin Ver, alias capitaine  » Nito « , chef de la Résistance à Valence d’Agen, s’adresse alors, d’une fenêtre de la mairie, à l’immense foule massée rue de la République.

Au nom des pouvoirs dont il est investi, il proclame la déchéance de l’Etat Français du Gouvernement de Vichy, et de l’avènement de la IVe République. Il prononce un vibrant discours patriotique, chaleureusement et longuement applaudi par la population.

Pendant ce temps, un groupe de FFI. de la 13e Cie A.S., sous les ordres de Georges Trenac, alias  » Tellier  » dans la Résistance, presse vivement les Allemands, encore dans les environs, dans leur retraite.

Après un bref engagement, nos maquisards font 22 prisonniers dans les bois de St. Vincent.

En retour possible de l’ennemi, l’ordre est donné de ne pas pavoiser encore, ni de fêter la libération. Des barrages sont établis à toutes les entrées de la ville et des sentinelles les surveillent en permanence

Les FFI. s’installent à l’école des filles. Le lendemain, Antonin Ver nomme le comité local de la libération:

–    Président : Antonin Ver

–    Membres : Louis Labatut, Pierre Demathieu, Georges Krings, André Baconnet, René Bertal, Raymond Moulis,

placé sous la présidence d’honneur de M. Bernard Baylet, père de Jean Baylet, maire de Valence d’Agen, arrêté par la Gestapo et déporté en Allemagne.
En résumé, la libération de Valence d’Agen s’est faite sans heurt et sans dégât. La 13e Cie des FFI. composée en majeure partie de Valenciens à fait preuve, sous le commandement de Georges Trenac, d’un excellent esprit de discipline.

Sous la direction d’Antonin Ver, le Comité Local de Libération ( C.L.L.) a fait dans l’ordre du bon travail au sein du Conseil Municipal, il est prêt à la continuer son oeuvre en attendant la victoire des Alliés et le retour de Jean Baylet, maire de Valence d’Agen.

Le C.L.L. devait rester en fonction jusqu’au 8 septembre 1944, date de la nomination, par arrêté préfectoral, du nouveau Conseil Municipal de Valence. Ses membres furent tous nommés conseillers municipaux avec les 13 conseillers déjà en place n’ayant pas démérité qui furent maintenus dans leurs fonctions. Monsieur Jean Baylet ayant été lui aussi nommé par arrêté préfectoral, l’administration de la commune pouvait reprendre normalement.

Le secteur libéré, la 13e Cie de l’A.S. du Tarn et Garonne, unité F.F.I., réputée combattante du 6 avril 1944 au 25 août 1944 n’avait plus aucune raison d’être maintenue. Elle est donc dissoute par la nouvelle autorité militaire qui règne sur la région. Car il ne faut pas oublier que si l’Allemand bat en retraite, il laisse derrière lui de nombreuses poches de résistance, et que la guerre n’est pas finie.

Certains de ses membres, comme à regret, rentrent dans leur foyer. D’autres signent leur engagement pour la durée des hostilités dans l’une des unités FFI. constituées par les Etats-Majors dans la 17e région militaire. Beaucoup optent pour le Ie Bataillon de Marche du Tarn et Garonne qui s’illustra à la pointe de Grave et en Médoc, avant de devenir le 2e Bataillon du 38e Régiment d’Infanterie.

Mais l’année de Résistance à l’ennemi passée ensemble, avec ses bons et mauvais jours, les risques pris en communs ou individuels, les dangers encourus par leur famille et leurs biens, les longues journées et surtout les interminables nuits passées au Maquis, tout cela dans le seul but de participer à la défaite du nazisme, de délivrer la FRANCE de l’immonde envahisseur, de lui redonner sa liberté et sa dignité, a fait des maquisards de la 13e Cie A.S. de Tarn.et Garonne des soldats de l’ombre que seule la mort peut séparer.

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page141pg

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page142pgLe 15 août 1944
Echec de l’opération de destruction d’un pont de chemin de fer au lieu-dit Roudes (Lamagistère).
Relation directe qu ‘en a faite Jean Douet (Vincent), participant à l’opération et qu’a recueillie son fils Pierre Douet.

Doù venaient ces trente ou quarante parachutistes américains, lourdement harnachés, suréquipés, bardés de bidons, d’accessoires, de bretelles de suspension et d’étuis de toile en tous genres ? Ils traînaient avec eux des postes émetteurs, des vêtements de rechange ouatinés ou imperméables en plein mois d’août, des rations alimentaires, du papier hygiénique et un énorme matériel. Où qu’ils aient été largués, ne pouvant survivre, comme ils l’avaient peut-être cru, sans guide, sans aide et sans soutien dans un pays ignoré mais bien quadrillé par les forces allemandes et leurs auxiliaires, ils échouèrent sous la sauvegarde d’une unité de Francs-Tireurs et Partisans du Lot.

On leur offrit un cantonnement au château de Chary, au sud de Montcuq, à quelques kilomètres de la zone d’implantation de mon père, le Capitaine Vincent, commandant la 8e Cie A.S.. J’ai fréquenté ces grands militaires américains à la gentillesse naïve pendant les quelques jours qui suivirent la malheureuse expédition que je m’apprête à rapporter. Pas un seul n’articulait un mot de français exceptés peut-être leurs deux officiers, auxquels on avait dû apprendre quelques tournures utilitaires en formation accélérée. Ils étaient d’une étrange simplicité et me firent cadeau de l’un des premiers blousons militaires imperméables à fermeture éclair qui ait été porté par un civil en France. Dans un pays parcellaire et caillouteux dont ils ne connaissaient rien, ils avaient peu de chances par eux-mêmes de mener à bien les actions de commando qu’ils avaient mission de conduire. L’une de ces dernières prévoyait la destruction à l’explosif d’un pont sur lequel la voie de chemin de fer Marseille/Bordeaux franchissait, aux environs de Lamagistère, l’un des petits affluents de la Garonne : la Barguelonne. Les aménagements nucléaires de Golfech n’ont sans doute pas manqué aujourd’hui de bouleverser la disposition du site.

Les F.T.P. mirent de bon gré à la disposition du commando U.S. leurs hommes et leurs moyens. A leur tête était un ingénieur républicain espagnol, vétéran de la guerre civile, la quarantaine grisonnante, chaleureux et entreprenant qui n’était identifié que sous le pseudonyme de «  » Mosquito » . Mon père le connaissait et l’appréciait pour avoir obtenu de lui des conseils et des précisions techniques concernant l’emploi des explosifs et des nombreux systèmes de retard et de synchronisation de leur mise à feu.

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page144pgDétail du lieu de l’engagement

Au soir du 15 août, mon père prenait quelque repos dans la cuisine du restaurant d’Armand Laforgue à Lauzerte, accompagné des quatre hommes de son corps-franc : Emile Quéméré, Yves Friant, Richard Sozanski et Eduardo Aguilera. Ce mois d’août était celui de la libération. L’essentiel des divisions blindées allemandes était remonté s’engager dans la bataille de Normandie et seules demeuraient les unités motorisées d’infanterie et les groupements de la Milice Française, qui songeaient à décrocher pour rejoindre l’Est et l’Alsace par la vallée du Rhône.

La nuit était tombée lorsqu’on frappa à la porte du restaurant. En silence, l’arme à la main, on attendit que se fissent connaître deux hommes qui exposèrent l’urgence d’un irremplaçable service à rendre à Mosquito, ses dizaines de F.T.P. et une trentaine d’Américains qui attendaient au bas de la colline de Lauzerte. En effet, le site de l’opération envisagée, se trouvait à la limite de la zone de responsabilité de mon père et ils comptaient sur lui pour les y conduire. Ce dernier connaissait bien les lieux car, avec l’aide d’un juif polonais, il avait tenté, quelques jours auparavant, d’amener à la désertion de jeunes polonais enrôlés de force dans la Wehrmacht, mais sans avoir pu les aborder en raison des réseaux barbelés et des glacis découverts. Donc, ayant rejoint l’expédition sous Lauzerte avec son corps-franc, mon père fit part de son avis sur les difficultés, sinon l’impossibilité d’une destruction de ce pont sans avoir, au préalable, neutralisé ses solides défenses. Il avait en effet, avec son interprète polonais, poussé jusqu’à la minoterie au bord de la Barguelonne, à cent mètres à peine du pont ferroviaire fortement défendu qui domine de son très haut remblai, la plaine alluviale par où devait obligatoirement s’opérer la progression. Mosquito traduisait aux Américains qui se concertèrent longuement mais confirmèrent leur intention de remplir leur mission. Mon père et ses quatre hommes prirent alors, dans leur Citroën noire, la tête d’une longue colonne de nombreux camions et voitures qui transportaient les hommes et d’importantes charges d’outillage et d’explosifs. Il s’agissait en effet, non pas de saboter une voie ferrée, comme la 8e Cie en avait l’habitude, mais de faire sauter l’ouvrage, ce qui supposait l’utilisation de très lourdes quantités d’explosif et des outils de parc pour forer les fourneaux de charges.

Par un itinéraire compliqué d’au moins 40 km par de petites routes très secondaires, le convoi stoppa au pied de Clermont-Dessus (aujourd’hui Clermont Soubiran). Un piquet de garde est laissé près des véhicules et les quatre hommes de mon père demeurent auprès de la Citroën : les Américains ne demandaient qu’un guide. Le matériel est chargé à dos de dizaines d’hommes et l’on part à pied en silence. Mon père est en tête et conduit la colonne avec un petit F.T.P. espagnol. Les Américains suivent, lourdement chargés. La colonne s’étire ; le chemin emprunte de nombreuses courbes ; les aboiement des chiens de fermes accompagnent la progression. Au Bergon, mon père oblique à droite vers la passerelle du canal latéral à la Garonne, ignorant si elle est gardée de nuit : elle ne l’est pas. On distingue maintenant à contre-ciel les grands peupliers du fleuve et le haut remblai du chemin de fer au-delà des bâtiments de la minoterie. Puis on oblique sur un chemin à gauche pour atteindre la Barguelonne. Et c’est là que les Américains négligent de laisser sur place l’homme qui devrait signaler le changement de direction. Quelques instants plus tard Mosquito, à la tête des ses hommes, écrasés sous leurs charges, dépasse dans la nuit le minuscule carrefour. Poursuivant droit devant lui, il se présente un peu plus loin au lieu-dit Roudès, face à un ponceau sous la voie qui, par malheur, se trouve gardé. Mosquito est tué sur le coup ; quelques F;T.P. semble-t-il sont blessés. Ils refluent, abandonnant le corps, rejoignent leurs véhicules et, privés de leur chef laissant là mon père, les Américains et deux ou trois de leurs camarades qui les accompagnaient, rentrent dans la nuit au château de Charry, dans le Lot.

Mon père et ses Américains arrivaient en cet instant devant le véritable objectif lorsqu’ils entendirent, à 200 m de là, les rafales qui abattaient Mosquito. Toute surprise devenait impossible. Sur le pont de la Barguelonne, le poste allemand devait être attentif le doigt sur la détente. Il faudrait renoncer mais l’officier américain s’entête. On continue donc vers le pont. Le petit Espagnol marche sur l’herbe à droite, mon père à gauche ; la route blanche se détache sous le clair de lune. Les Américains suivent, alors que leur mission et leur formation de commandos auraient exigé, dès ce moment, leur prise en main des opérations. Au lieu d’aborder l’objectif de divers côtés de part et d’autre de la voie, on marche droit à la mort dans l’attente angoissée de l’ouverture du feu.

Une M.G. 42, à la cadence de tir caractéristique dépierre maintenant le chemin blanc dont les cailloux volent dans les étincelles et les ricochets. Quelques Américains tombent dans les eaux noires de la Barguelonne, profonde à cet endroit, au pied d’une berge abrupte au bord de la sente. Chargés, il barbotent bruyamment. Leurs camarades les repêchent. Deux ou trois d’entre eux sont à demi noyés. Quelques minutes s’écoulent sans initiative pour leur permettre de reprendre souffle cependant que, depuis l’avant de leur formation, leurs compatriotes ripostent au jugé. Mon père et le petit Espagnol s’incrustent dans le sol, entre les deux feux. Mais les Allemands cessent bientôt le tir, vieux soldats économes de leurs munitions ; ils ne sont probablement que quelques hommes sur ce poste isolé. On entame le repli. On se regroupe autour de deux meules de paille près de la minoterie. Le retour est pitoyable. Les Américains traînent deux ou trois de leurs camarades épuisés. Il fait grand jour lorsqu’on repasse au pied de Clermont Dessus. Plus trace du convoi automobile reparti vers le Lot. Seuls les quatre hommes de mon père attendent, inébranlables, près de leur Citroën. C’est Emile Quéméré qui est chargé de quérir, à Castelsagrat, le vieux car à gazogène d’Aimé Delmas pour rapatrier, après une attente de trois heures en plein jour, la misérable cohorte sur Lauzerte.

Et ce sera encore la 8e Cie qui, les jours suivants reviendra sur les lieux pour ramener de Saint-Pierre de Malaure un blessé F.T.P. abandonné et trois Américains perdus dans les cultures que leur chef ne pensait plus revoir.

Ils n’entreprirent plus, instruits par l’expérience, d’opérations aussi mal préparées et aussi mal conduites sur objectif non reconnu. La 8e Cie demeura désormais leur point d’ancrage et ils furent avec nous quelques temps plus tard aux libérations de Moissac, d’Albi, Lacaune et la Montagne Noire dans les journées de combat et de triomphe qui suivraient bientôt.

Monument élevé à Lasparrieres
à proximité de Lamagistère à la mémoire du lieutenant « Mosquito »

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page147pg

Lieutenant «  »  Mosquito  »   de son vrai nom Emmanuel SALVADOR mort pour la France le 15 Août 1944
au cours d’une action de sabotage de la voie férrée Bordeaux-Toulouse Pont de Lasparrieres à faire sauter.

13ème Compagnie, cantons de Valence d’Agen et Auvillar (deuxième partie)
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