Pages 77-86 du Livre « Afin que Mémoire Demeure »

Le Tarn-et-Garonne sous l’Occupation Allemande
Tract du mouvement « Combat » de 1942
Les agents britanniques du Colonel Buckmaster
Le S. O. E.
Le mouvement « Libérer et Fédérer « 
Manifestation gare Villebourbon 16 Mars 1943- 19 décembre 1943
Les jalons de la gloire

L’Union Sportive Montalbanaise Rugby dans la tourmente de la guerre 1939-1945

par Christian Stierle Conservateur de la bibliothèque Antonin Perbosc

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Debout : 5e J. Méric, 7e L. Sabatié Assis : 4e R Dutilleux, 5e R. Fourniols, 6e R Blanc, 7e R Coulonges.

1939 -1940 – L’Union Sportive Montalbanaise dans la guerre

Quand un pays capitule (17 juin 1940), quand un pays est occupé par l’ennemi, quand un pays est envahi, l’aventure sportive a-t-elle encore un sens ? Y a-t-il dans un tel pays suffisamment de jeunes gens capables de mettre en pratique la fameuse devise du baron Pierre de Coubertin « L’essentiel est de participer  » ? Participer â quoi ? Participer au nom de quoi ? Guy de Maupassant écrivait déjà dans Les démarches d’un bourgeois de Paris : « si la guerre est une chose horrible, le patriotisme ne serait-il pas la mère qui l’entretient? ».

Alors que débute la campagne de France (1940), Louis Lapoujade est le président de l’U.S.M. Il avait opéré au poste de demi d’ouverture dès 1911 en équipe 1 ; par la suite il avait joué au S.C.U.F. À l’époque le rugby français est bien malade puisque le championnat de France a été sacrifié à l’autel britannique. Comment s’imaginer à ne plus voir à Sapiac les mâles affrontements entre les plus grandes équipes françaises et l’Union Sportive Montalbanaise ?

Déjà à l’automne 1939, alors que les déclarations de guerre se succèdent, l’annonce du conflit n’avait pas laissé les rugbymen montalbanais insensibles. Ah ils se souvenaient des exploits de leurs aînés et de ces 55 rugbymen frères qui étaient tombés au champ d’honneur pendant les années terribles de 1914-1918. Le président de la F.F.R., le docteur Ginesty, n’avait pas hésité à rappeler les belles traditions du rugby français, adressant la lettre suivante à ses camarades de la FFR, et aux joueurs : « Mes chers camarades, la FFR. s’est appliquée depuis sa fondation à faire de ses membres des Français physiquement forts et à essayer de leur faire comprendre que, en toutes circonstances, il fallait savoir penser glorieusement au moment où tous nos joueurs et beaucoup de dirigeants vont avoir à remplir leur devoir envers la Patrie. La FFR. leur envoie son salut très ému et très confiant. Que chaque comité, chaque club se transforme en centre d’accueil pour les joueurs du rugby, français ou britanniques mobilisés. Plus tard, nous penserons à nouveau au rugby. Que le souvenir de ceux de 14-18 vous soutienne. Comme en 14, les rugbymen, le cœur gonflé d’espoir et de volonté, feront magnifiquement leur devoir ».

Sapiac, dès septembre 1939 est réquisitionné, comme le stade Yves Du Manoir à Colombes ou le stade des Minimes à « Toulouse. Mise à la disposition de l’armée, la société cycliste est soumise à rude épreuve. Mais cette fois le Monument aux Morts qui comporte les noms des 55 sapiacains morts lors du premier conflit mondial veille aux destinés du club.

Malgré la guerre, le comité des Pyrénées de rugby à XV décide de poursuivre son activité et d’organiser une coupe : ce sera la Coupe de l’Espérance des jeunes « Vert et noir », les montalbanais sont convoqués le vendredi 13 octobre au terrain de Pomponne en vue de la formation des équipes pour la saison 1939-1940. Mais Sapiac réquisitionné… les dirigeants prennent le parti de ne pas engager l’U.S.M. en Coupe de l’Espérance et de mettre l’équipe en sommeil en marge de la drôle de guerre. La saison rugbystique se limite, dans l’hexagone, à la participation de douze clubs régionaux à un Tournoi Pyrénéen, à la Coupe de Paris et à la Coupe de la Côte Basque. À cela s’ajoutent des affrontements, à Paris (Parc des Princes) entre l’armée française et l’armée britannique ou encore entre la R.A.F et l’équipe des aviateurs français. Quant à la Coupe de l’Espérance, elle sera remportée le 5 mai 1940, par le Stade Toulousain qui bat l’Entente sportive Albigeoise (23 à 0). Dans les rangs de la jeune équipe toulousaine, on note la présence de Jean Bénézet et Marc le Gunehec qui, quelques années plus tard, avec leurs camarades Adrien Soulié et Jean Bazelières, viendront renforcer l’U.S.M. et participer à son renouveau.

A Montauban, où le rugby colle à la peau de chacun, les quelques vieux dirigeants qui n’avaient pas été mobilisés rappellent que, si l’U.S.M. est en sommeil, il convient de rassembler un maximum de jeunes montalbanais sous la bannière verte et noire dès l’automne 1940 : « On a été surpris dans les milieux sportifs pyrénéens de l’absence de l’U.S.M. dans la Coupe de l’Espérance. On ignorait sans doute que les animateurs de notre club étaient mobilisés, que les équipements étaient réquisitionnés, que le terrain lui-même avait été utilisé par l’autorité militaire. À l’heure actuelle, il est permis d’annoncer que, selon toutes probabilités, les jeunes vert et noir pourront, l’hiver prochain, se joindre à leurs collègues pyrénéens. Précisons qu’il est dans les intentions de notre club doyen de constituer des équipes cent pour cent juniors ».

Ainsi, au milieu de cette actualité nourrie de misère morale et matérielle, le sport – et le rugby en particulier – n’occupe plus qu’une place dérisoire dans l’esprit des montalbanais. Au plan national, le nouveau ministre de la Jeunesse du maréchal Pétain, M. Ybarnegaray, un ancien Croix de Feu, abolit le sport professionnel, sauf le cyclisme (13 juillet 1940). Le rugby à XIII est ainsi condamné. La guerre des deux rugbys est relancée â l’occasion d’un conflit mondial majeur. Comme quoi sport et politique restent indissociables.

1940 -1941 – Sapiac Libéré

La bataille fait rage en juin 1940. L’aviation allemande lâche des milliers de bombes sur Paris et le nord de la France. Paul Reynaud s’adresse au pays : « Aujourd’hui, à une heure qui reste grave, je viens vous apporter des raisons d’espérer… Le rêve d’hégémonie allemande va buter sur la résistance française. Nous autres, Français de juin 1940, nous n’avons qu’une pensée : sauver la France. Plus que jamais, nous avons confiance dans nos armes ! ».
Dans la soirée du 18 juin 1940, de Londres, une voix grave s’élève, venue d’on ne sait où, porteuse d’espoir et providentielle : le général De Gaulle s’adresse aux Français et leur lance un appel, avec comme mot d’ordre : « Résistance ! ». Mais la France doit bien se résigner à ce qui est l’évidence même : elle a subi une humiliante défaite et doit donc prendre, sans délai, des mesures hardies en vue d’un relèvement rapide du pays. L’Etat français s’installe à Vichy… et De Gaulle est condamné à mort par contumace… pour trahison. Celui-ci répond en garantissant « la restauration intégrale de l’indépendance et de la grandeur de la France… ». Il faudra attendre quelques années.

Dans ce contexte comment allait pouvoir se dérouler la saison de rugby 1940-41 ? Alors que le ministre de la Jeunesse n’autorise qu’un seul club de rugby dans les villes de moins de 50000 habitants, la F.F.R. se retrouve avec un exécuteur bicéphale : Louis Dedet, vice-président, est chargé de la zone occupée et le docteur Ginesty, président, dirige depuis Toulouse les clubs de la zone libre, rappelant avec force les principes qui régissent désormais le rugby français :

•    Interdiction des championnats, d’appointer les entraîneurs, des matches éliminatoires en challenges ;

•    Autorisation des tournois sous certaines conditions et obligation impérative d’un amateurisme pur et dur.

Sapiac, toujours occupé par l’armée, les « vert et noir » prennent le chemin du terrain de Pomponne le dimanche 22 septembre 1940. Depuis le 5 mars 1939, date à laquelle l’U.S.M. avait battu Carcassonne à Sapiac, le rugby était réduit à la portion congrue dans la cité d’Ingres. II fut décidé que le terrain serait occupé le matin par les jeunes et l’après-midi par les seniors. Le club, avec toujours à sa tête le dévoué Louis Lapoujade, peut compter sur un effectif de qualité où se mêlent jeunes espoirs et vieux briscards.

La guerre avait laissé des traces et sept Montalbanais avaient été faits prisonniers : Charles Bigot, Edouard Tournou, Roger Nat, Henri Boyer, Lespiaut, Onory et Emile Bouché. Tournou fut rapidement libéré ; ce qui ne fut pas le cas de Nat, Boyer et Onory. Charles Bigot retrouve sa liberté en février 1941 et s’installe dans sa ville natale (Lézignan). Et en septembre 1940, l’U.S.M. à la joie d’accueillir Edmond Pasquier, ancien joueur de Toulon. Avec des jeunes pétris de qualité, fait unique dans la déjà longue histoire unioniste : les juniors sont engagés sur deux fronts en Coupe des Pyrénées.

Le 2 octobre 1940, à Toulouse, il est décidé que la seule épreuve officielle organisée par la FFR. sera la Coupe Nationale des Provinces, disputée par les sélections régionales dont celle des Pyrénées – Béarn – Bigorre. Pour pallier la suppression du championnat, un challenge Français regroupant 42 équipes est mis sur pied.

Enfin arrive le moment tant attendu par tous les sportifs sapiacains : Sapiac libéré ! Sapiac souillé mais encore debout ! Sapiac en piteux état mais Sapiac rendu à ses enfants « vert et noir » ! Le dimanche 24 novembre 1940 est un jour de folle espérance et l’U.S.M. croise le fer avec les rudes Ariégeois de Saint-Girons ; une victoire chèrement acquise vient sanctionner les débats.

La charte des Sports du 20 décembre 1940

Le 16 octobre 1940, coup de théâtre dans le monde du rugby. Le professionnalisme est interdit. Les clubs de rugby à XIII doivent s’affilier immédiatement à la F.F.R. ou disparaître. C’est ainsi, par exemple, que Toulouse Olympique XIII enrôle deux équipiers de plus et devient le Toulouse Olympique XV !

Né à l’origine du refus de la Rugby Union en 1893, d’autoriser certains clubs du nord de l’Angleterre de rétribuer leurs joueurs, le XIII est passé par bien des vicissitudes tout au long du XXème siècle. Introduit en France par Jean Galia en 1934, il subit une grande crise lors de la seconde Guerre Mondiale.

Avec la création de l’Etat Français le 11 juillet 1940, les orientations données au sport français changent. Le sport professionnel est perçu comme opposé aux valeurs que les dirigeants politiques veulent promouvoir. Le 22 août 1940, le ministre de la Famille et de la Jeunesse, Jean Ybarnegaray, déclare : « Le sort du rugby à XIII est clair ; il a vécu, rayé purement et simplement du sport français ». Ainsi, dans le journal « L’Auto » daté du 14 octobre 1940 on lit : « Le rugby à XIII a réintégré la Fédération Française de Rugby. Le retour à la fédération mère devra être terminé le 15 novembre, et l’on étudiera l’opportunité de pratiquer le rugby à XIII dans le cadre scolaire ».

De fait, le 17 octobre, la Ligue du Rugby à XIII communique : « En raison de la nouvelle organisation du rugby français, dont le statut est en préparation, il est recommandé aux sociétés de la Ligue de jouer entre elle dès dimanche prochain au rugby à XV, de façon à s’adapter le plus tôt possible aux règles de ce jeu… ».

Ces propos et ces directives mettent en émoi les adeptes du « deuxième » rugby. Le mouvement treiziste est ébranlé, brisé. La loi du 20 décembre 1940, dite « Charte des sports » se fixe dès lors la nouvelle réorganisation du sport en France. Désormais les fédérations sont quasiment étatisées et le rugby, grâce à sa nature (telle est la volonté des gouvernements de l’époque), ne peut être pratiqué que par des amateurs.

Le rugby à XIII est condamné. Le 19 décembre 1941, un décret portant dissolution de la Ligue Française de Rugby à XIII est pris, promulgué le 27.

A noter que la pratique du rugby à XIII sera rétablie par l’ordonnance du 20 octobre 1943. Celle du 28 août 1945 rétablira la « Ligue Française de Rugby à. XIII ».

Au terme de cette rapide étude, il est permis de se poser des questions. Vichy a éliminé le XIII pour cause de professionnalisme. Or le football était professionnel…, et le régime de Pétain n’a rien fait contre ce sport. On peut toujours penser que le XIII a été éliminé par Vichy parce que le XV était lié à ce gouvernement ; que le XIII ait souffert d’ostracisme avant la guerre et au début du conflit, cela est évident. Les événements s’enchaînant, Vichy a interdit d’abord ce jeu, puis l’a spolié. Et les biens treizistes ont bien vite été récupérés par le XV. L’Histoire est ainsi faite…

1941-1942 – L’U. S. M. dans la tourmente

Alors que les belles après-midi de septembre inciteraient les joueurs et les supporters à retrouver leur Sapiac favori, la F.F.R., avec à sa tête le président Albert Ginesty que soutient le Conseil des anciens internationaux, envisage d’interdire toute compétition pour la nouvelle saison. Les clubs réagissent mal face à cette mesure qui pourrait engendrer la mort du ballon ovale dans l’hexagone. À Montauban, l’arbitre local Marcel Lapisse résume le sentiment de tous en déclarant : C’est très simple ! Plus de compétition et c’est la fin du ballon ovale. Le rugby est malade : doit-on le diriger sur un centre de rééducation ou vers un conseil de réforme ?

La guerre est là, bien là avec ses tueries, ses ruines, ses restrictions, les déportations de prisonniers vers les camps de la mort. Le président Lapoujade, homme discret et courageux, qui « tiendra » jusqu’à la Libération, sait que le rugby compte bien peu de choses dans une telle tourmente. Pierre Blanc, futur préfet, sait de quoi il parle lorsqu’il évoque la misère des temps : « … Il (Louis Lapoujade) a le grand mérite de ne jamais faire front, entouré d’une poignée de dirigeants, anciens joueurs pour la plupart, qui ont uni leurs efforts pour résister à l’adversité. Il leur faut entretenir le stade de Sapiac délabré, le terrain endommagé par l’occupation militaire, assurer les déplacements par leurs propres moyens malgré la pénurie d’essence et de pneumatiques, s’occuper du lavage et du rapiéçage des maillots, apporter leur garantie personnelle aux avances chichement consenties pour faire face aux dépenses les plus urgentes, contribuer, avec des moyens dérisoires, au soutien moral et matériel des joueurs. Tout cela sans espoir de gloire ni même de reconnaissance immédiate. Au plus creux de la vague, alors qu’il faut compter sur des anciens ou de très jeunes joueurs pour former les équipes aux effectifs raréfiés par la captivité, le rationnement, les épreuves de toutes sortes, ils ne cèdent jamais an découragement, même lorsque les défaites et parfois les humiliations les poussent au renoncement. Grâce à eux, l’U.S.M. a pu traverser un gué dangereux et reprendre pied dès la fin de la guerre » (Extrait de : Union Sportive Montalbanaise – un siècle de rugby (1903-2003), p. 264).

1942 -1943 – Des temps incertains

Pris dans l’incertitude des temps et la tourmente des événements, les rugbymen montalbanais font une saison bien pâle. Sapiac reste le temple du sport montalbanais et, si on pratique le tennis sur le terrain cimenté qui jouxte le Monument aux Morts, tout à côté, sur les berges du Tarn nombreux sont ceux qui s’adonnent à la natation, à la plongée, au water-polo (dans le bassin des Mouettes), à l’aviron ou aux joies du hors-bord. Il faut bien tuer le temps en pensant à un avenir meilleur !

Le rugby dans ce contexte ? Le 5 juin 1942, la FFR. et son nouveau président, Alfred Eluère, rétablissent le championnat de France qui sera disputé par 55 clubs en zone libre et par 40 autres en zone occupée. La frontière entre les  » deux  » rugbys est délimitée par une ligne qui court de Saint-Jean-Pied-de-Port à Genève en passant par Mont-de-Marsan, Angoulême, Tours, Vierzon, Moulins et Beaune. Il est décidé que la fin de ce championnat opposera pour la saison 1942-43 les vainqueurs des deux zones.

Dans la tragédie que connaît le pays, le championnat démarre donc dès l’automne 1942 et l’U.S.M. se trouve dans une poule en compagnie du Stade « Toulousain, Brive, Fumel et Castres.

L’équipe 1, malgré la présence de quelques anciens, reste inexpérimentée. Mais la formation juniors à fière allure avec les Fabre, Augé, Méric, Busquet, Pierre Blanc, Clamens, Fourniols, Malvergne, Andrieu, Lemboulas, Laplace, Rey, Barreau, Bénard et Denat.

La grande finale nationale oppose deux écoles, deux références, deux grands clubs amis de Brennus, le Sporting Union Agenais de Charles Calbet et l’avenir Bayonnais de Maurice Celhay. Au Parc des Princes, le 21 mars 1943, Bayonne est sacré champion de France devant les Lot et Garonnais (3-0). La presse de l’époque relate :

Le championnat de France de rugby 1942-1943 s’est terminé par la victoire de Bayonne sur Agen. On a tout dit sur ce match, On a vanté la correction des deux équipes et aussi déploré la pauvreté de leur jeu. On a longuement décrit l’ambiance comparable à celle des plus grandes journées d’avant-guerre. Dans le public, on remarquait de nombreuses personnalités, MM. Alfred Eluère, président de la F.F.R., Abel Bonnard, secrétaire d’Etat à l’Education Nationale, le colonel Joseph Pascot, commissaire général aux sports, Cathala, secrétaire d’Etat à l’Economie Nationale et aux Finances, Coll de Carcar, directeur de l’Education générale au commissariat ».

Que penser de la technique et de la valeur du jeu au cours de la saison ? Il serait étonnant que le rugby ait fait de grands progrès avec l’absence d’un million deux cent mille prisonniers, les restrictions, les difficultés de la vie de tous dans les circonstances pénibles que traverse notre pays. Cependant, le rugby 1942-1943 n’est pas aussi bas qu’on veut bien le dire. Beaucoup de spectateurs restent intoxiqués par cette fausse idée que le rugby doit être une débauche de jeu ouvert, restant sous l’impression du rugby à XIII.

Le S.U. Agen se consolera en mai 1943 en battant, à Bordeaux, le S.B.U.C. en finale de la Coupe de France (11-4). Et à Montauban, tant bien que mal, Sapiac essaye de garder la flamme fragile de la passion sportive et de donner aux supporters unionistes les émotions et sujets de conversation qui font oublier quelques instants les malheurs du temps.

1943-1944 – La mort d’un junior de Sapiac

A nouvelle saison, nouveau championnat : les deux zones ont disparu et pour cause !

Depuis le 11 novembre 1942, la cité d’Ingres est occupée par l’ennemi, comme toutes les villes de France.

Lors de la première phase, 96 clubs composent la première division. À la tête de l’U.S.M. se trouve le président Lapoujade qui attaque son septième et dernier mandat. C’est la pire saison de toute l’histoire sapiacaine. Les juniors, heureusement, révéleront quelques talents, parvenant ainsi à battre de coriaces Toulousains dans la ville rose. Elle est composée de : Busquet, Lambert, Mességué, Aimé Etienne, Méric, Bénard, Louis Sabatié, Raglia, Debayles, Andrieu, Denat, Dutilleux, Raymond Fourniols, Pierre Blanc, Pierre Coulonges, Augé, André Etienne.

Malgré ses échecs sur le front de l’Est et en Afrique du Nord, l’armée allemande est encore puissante. Gestapo et Milice terrorisent les populations pour amoindrir la résistance intérieure, dont les mouvements ont été unifiés par Jean Moulin,  » Le rugby qui a vocation de distraire et de créer l’évasion d’un instant s’impose cependant, l’automne revenu, comme une sauvegarde des traditions et un gage de renouveau ».

C’est alors qu’un événement majeur va ajouter le deuil et la révolte à la déception sportive.

Le 2 février 1944, Louis Sabatié, équipier junior de l’U.S.M., appartenant à un mouvement de résistance, fait sauter la vitrine d’un pharmacien, chef de la Milice, en début de soirée. Il arrive place Lalaque avec la ferme résolution d’attaquer des soldats allemands ; à l’angle de la rue Ferdinand Buisson, devant la soldatenheim, l’agent de police de garde le juge suspect et l’arrête au coin de la rue Jean Jaurès ; Louis porte sur lui des grenades et un pistolet. Il n’a plus le choix. Il tire, L’agent s’écroule, mais avant de mourir identifie Louis.

Le lendemain, jeudi 3 février 1944, il est arrêté dans une salle d’étude du lycée Ingres, et incarcéré à la maison d’arrêt de Montauban. Le 17 février, Louis est transféré â la prison de Saint-Michel â Toulouse. Après un jugement de 70 secondes, le procureur-général Berthier le condamne à mort.

À 16 h 52, Louis Sabatié écrira une dernière lettre à ses parents et à sa sœur Linette: « Maman adorée ; très cher Papa, très chère Linette

Dans une demi-heure, je serai mort. On vient de me lire la sentence ; Sachez que je meurs fièrement sans trembler. Je regrette d’avoir tué ce pauvre agent, mais c’est la Fatalité.

Chère Maman ; sache qu’à quelques instants de la mort, je suis ton digne fils qui t’adore et qui te supplie de lui pardonner toutes les souffrances qu’il t’a fait endurer dans sa courte vie. Pardonne-moi ; je te supplie ;

Cher Papa, au nom de ton héroïsme lors de la dernière-guerre, j’implore aussi ton pardon J’ai cru et je crois encore avoir fait mon devoir. Il est bien pénible.

Chère Linette, excuse-moi si je te procure des ennuis ; Un jour prochain, ils te seront excusés.

Cher Papa et chère Linette, je compte sur vous pour réconforter Maman ; Aimez-la toujours davantage, car elle a toutes les vertus et que ma mort va, j’en suis sûr, lui être presque fatale : surveillez-la bien et aimez-la toujours autant que je l’aime quelques instants avant ma mort

Pensez tous souvent à moi ; car j’ai su mourir dignement fier de mon idéal. La Grande révolution actuelle a aussi besoin des siens. Qu ‘est-ce que la vie d’un homme en comparaison du bonheur de l’humanité ?

Adieu, parents adorés, Je meurs content et fier, sans pleurer sans gémir, car je vais retrouver les héros innombrables de la Libération.

Chère Maman, comme je te le demande sur ma lettre écrite, de Montauban, adopte Yvette comme ta fille et vivez ensemble en me pleurant Mais je t’en supplie, vis, je le veux. Adieu, nous nous retrouverons un jour heureux.

Je t’adore, et je meurs la tête haute comme un humble artisan de la Libération

Louis, ton fils chéri »

A 17h 22, Louis Sabatié était fusillé. Il n’avait pas 20 ans

(Extrait de : Didier Blanc – La Légende de Sapiac, livre 111 : Les Années oubliées (1932-1942,), p. 264).

La saison se termine pour les Montalbanais dans une-ambiance pesante et attristée ; Les actions de la Résistance que rejoignent nombre joueurs, entraînent d’atroces représailles. Le débarquement des troupes alliées le 6 juin 1944 en Normandie accélère les mouvements de la libération. Ainsi, Montauban est libre le 19 août 1944 après les combats du Rond auxquels participèrent de jeunes maquisards, membres de l’équipe junior de l’U.S.M.
Mais l’espoir est revenu, et avec lui, l’impatience de retrouver le rugby et son prestige.

1944 -1945 – La renaissance

Au moment même où s’éteint (6 août 1944) le poète de langue occitane Antonin Perbosc, et où – enfin – la ville de Montauban se libère de l’oppresseur nazi (19 août), la saison de rugby reprend. Ce sera celle de la renaissance des « vert et noir « . Souvenons-nous du contexte : à la fin de la saison précédente, l’U.S.M. avait terminé au 95e rang des 96 clubs classés en Fédérale. Elle a pu toutefois garder sa place parmi les 126 clubs qui vont disputer le championnat de France.

Norbert Raynier entend remettre le club sur de bons rails. A cette fin, il a une idée géniale : par l’entremise du « Pape du Jazz », le célèbre critique Hugues Panassié, il décide de recruter l’Albigeois Raymond Grimai. C’est le début d’une belle aventure… Raymond Grimai est un brillant demi d’ouverture dans le Tarn ; à l’U.S.M. on le coiffe en plus de la casquette d’entraîneur. Avec l’appoint de quelques juniors, le Comité décide de procéder à une politique ambitieuse de recrutement. Ainsi arrivent dans la cité d’Ingres Joseph Griffard (ex. international à XV et à XIII) qui apporte toute son expérience et beaucoup de talent, mais aussi nombre de Toulousains qui craignent d’être réduit au rôle de doublure des vedettes : Jean Bénazet, Jean Bazelières, Marc Le Gunehec et Adrien Soulié. À eux se joignent des chevronnés qui ont pour noms : Pierre Izaga (demi d’ouverture champion de France avec Valence-d’Agen en 1937), François Ricardo et Gaston Mader. Le XV montalbanais est désormais compétitif avec les « anciens », toujours présents : Laplace, Jean Lacaze, Quès, Lagrange, Ragla (dit « Le Bouif  » en référence au nom familier donné aux cordonniers), Roubert, Jean Bénard, Beck, Salhers, Roucoles, Prunières, Roujas et Bertrand (pour le pack), mais aussi Bénazet, Emile Bouché et Pierre Blanc (pour les lignes arrières). Enfin comment ne pas évoquer le nom du troisième ligne centre de Bègles, Detchard, nommé directeur de la Jeunesse et des Sports, et qui joua trois dimanches avec les  » vert et noir  » avant de succomber aux sirènes alléchantes du XIII albigeois. Ce qui fit le bonheur de Raymond Grimai, qui hérita du poste resté vacant.

Sur le plan international, la France rencontre à Richmond, le 28 avril 1945, l’empire britannique. À l’aile, Jacques Chaban-Delmas fait ses grands débuts internationaux. Rien de bien extraordinaire si ce n’est qu’il est général et qu’il a vécu le match précédent de janvier dans les tribunes aux côtés des généraux Kœnig et Duché.

Heureux, serait-on, en cette fin de saison 1944-45, de vivre libres? Non, les temps sont bien durs. Car comment oublier les rugbymen disparus : Gilbert Brutus étranglé dans sa prison ; Allan Muhr et Piquemal disparus dans les camps de concentration ; Géo André volontaire tombé en Tunisie, la cinquantaine passée ; François Méret, le pilier tarbais, tué au front quelques mois après son match de 1940 contre l’armée britannique ; Claudel abattu en Alsace dans l’armée de Leclerc. Mais la paix n’est pas très loin. L’espoir qui fait vivre est là et les ambitions de l’U.S.M. sont annonciatrices de lendemains glorieux.

Aléa jacta est !

Les jalons de la gloire
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