Pages 157-178 du Livre « La mémoire : Heurs et Malheurs »

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage157Mémoires Conjuguées

Le jeudi 20 avril 2006, dans la cour du lycée Michelet, étaient honorées les mémoires conjuguées d’Adèle Kurtzweil et Marie-Antoinette orcival, toutes deux victimes des camps nazis.

Moment intense, moment de gravité non feinte, moment d’émotion palpable pour cet hommage sobre, vibrant, en mémoire de ces deux jeunes filles, toutes deux élèves de Michelet, victimes de l’horreur indicible, de l’aveuglement meurtrier des hommes.

Chaque instant de cette cérémonie aura été empreint de sincérité, redonnant au mot civisme tout son sens.

Au moment de la minute de silence, instant extrême de recueillement, une chape de béton, lourde de souvenir, semblait s’abattre sur l’assistance… silence dans lequel l’on pouvait dans sa mémoire entendre encore battre les cœurs d’Adèle et de Marie-Antoinette.

Auparavant, François-Henri Soulié, ancien élève lui aussi de Michelet, donnait lecture de la trajectoire tragique d’Adèle Kurtzweil, exterminée avec ses parents, dès son arrivée au camp d’Aushwitz… nous étions le 9 septembre 1942.

C’est un sort tout aussi atroce que devait connaître la tarn-et-garonnaise Marie-Antoinette Orcival, morte d’épuisement le 19 juin 1945, après avoir connu les effroyables et pires conditions du camp de Ravensbruck et des mines d’Eisfeeben-Beendorf

Aujourd’hui, sur les murs du lycée Michelet, chargés d’histoire, une plaque commémore à jamais le souvenir d’Adèle et de Marie-Antoinette, victimes innocentes de l’atroce, un atroce qu’il ne faut pas oublier, pour que jamais il ne se reproduise.

Avec l’autorisation de Monsieur Falconier, proviseur du lycée Michelet, nous reproduisons ici les pages du site internet « lycée Michelet », retraçant l’histoire d’Adèle Kurtzweil, histoire restituée grâce aux archives conservées à Auvillar dans une réserve de la mairie depuis l’arrestation de la famille Kurtzweil le 26 août 1942, et inventoriées en 1990 par Laurence et Pascal Caïla.

Il faut citer aussi le témoignage de Monique Lagard, professeur d’histoire au lycée Michelet, qui écrit le 9 février2005 :

« Quelle émotion de découvrir cette évocation d’Adèle Kurtzweil, pour moi qui a été marquée, ainsi que mes élèves par le destin tragique d’Adèle. En 1994 et 1995, nous avions réalisé, avec beucoup de cœur, une recherche documentaire et une exposition.

Je ne saurais vous dire combien il est important que la mémoire d’Adèle Kurtzweil se perpétue dans notre lycée. Je pense, comme l’écrit Primo Lévi dans « Si c’est un homme », que le souvenir de ce qui s’est passé à l’époque nazie peut être un avertissement et une aide « pour trouver la force de résister à tout nouveau fascisme » qui peut naître n ‘importe où et se camoufler sous d’autres noms. « N’oubliez pas que cela fut. Non, ne l’oubliez pas. Gravez ces mots dans votre cœur. Pensez-y toujours ».

Un destin brisé


Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage161-1 Adèle Kurzweil est née à Graz en Autriche le 31 janvier 1925 de Gisèle Tramer et de Bruno Kurzweil. Les parents sont tous les deux d’origine juive. Cependant Bruno a été baptisé selon la religion catholique en 1912 à 21 ans. Sa femme et sa fille ont quitté la religion juive le 11 Juin 1926 comme en témoigne un certificat retouvé dans les archives d’Auvillar. Bruno Kurzweil est avocat, Gisèle mère au foyer. La famille est aisée.

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage161-2En 1928, Bruno Kurzweil est membre du parti Social Démocrate Autrichien.
La famille Kurzweil en Autriche – 1928

La famille Kurzweil était destinée à vivre heureuse en Autriche. Mais l’annexion du pays par l’Allemagne d’Hitler les contraint à l’exil car d’origine juive. Ainsi dès les 12 et 13 mars 1938, en Autriche annexée, les premières lois discriminatoires contre les juifs sont mises en oeuvre. Bruno Kurzweil doit interrompre l’exercice de sa fonction d’avocat. Il doit déposer une déclaration de fortune obligatoire pour les juifs. Les comptes en banque des Kurzweil sont bloqués car juifs, ils sont soupçonnés de vouloir quitter l’Autriche. En septembre 1938, la famille obtient des passeports « Deutsches Reich ». En effet la France et la Grande Bretagne ayant signé avec Hitler les accords de Munich, les Kurzweil sont autorisés à quitter l’Autriche.

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage162Le 4 octobre la famille Kurzweil passe la frontière de Suisse s’inscrit au poste de police de Zurich. Et le 17 octobre elle arrive à Paris où elle loge dans le 19ème arrondissement.

Ce sera alors une courte période d’espoir. Bruno Kurzweil s’inscrit comme étudiant à l’Alliance Française. Il reçoit une grosse somme d’argent en provenance de Zagreb par l’intermédiaire d’une banque suisse.

En Allemagne de nombreuses violences antisémites sont commises pendant la nuit de cristal.

En février 1939 la guerre civile s’achève en Espagne. Cinq cent mille combattants républicains et réfugiés civils passent la frontière française. Ils sont acueillis dans des camps improvisés : ainsi le camp de Judes, sur la commune de Septfonds en Tarn-et-Garonne.

En Août 1939, Adèle est envoyée par ses parents dans une auberge de jeunesse au Plessis-Robinson.

Le 1 septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne. Le 3 septembre la France et la Grande Bretagne déclarent la guerre au Reich. Les allemands et les autrichiens vivant en France sont suspectés, recherchés et enfermés dans des camps. Bruno Kurzweil est arrêté, conduit au stade de Colombes, enfin interné au camp pour étrangers de Meslay du Maine dans la Mayenne.

Le 8 septembre, Adèle entre dans une institution juive de Secours d’enfants à Montmorency : la villa Helvética. Elle y restera jusqu’en juin 1940. Vraissemblablement ses parents l’avaient placée là pour qu’elle soit en sécurité. A la rentré scolaire d’octobre 1939, Adèle est inscrite en classe de quatrième au cours secondaire de Saint-Leu à Enghien les bains.

Bruno Kurzweil est sorti du camp. Il est inscrit sur le relevé des Etrangers sans nationalité, bénéficiaires du droit d’asile, par la commission de révision du 3ème arrondissement.

Le 10 mai 1940, c’est le début de l’offensive Allemande. Le 6 juin les lignes françaises sont enfoncées. Le 14 juin les troupes allemandes pénètrent dans Paris.

Dès le 9 juin les Kurzweil ont obtenu un sauf-conduit collectif pour gagner le Tarn-et-Garonne.

Le 22 juin 1940 l’armistice est signé. Le 10 juillet la 3ème République est remplacée par L’Etat français.

En arrivant à Montauban la famille Kurzweil occupe des logements successifs : à Lalande, avenue Gambetta et rue Denfert-Rochereau.

Le 23 septembre 1940, Adèle fait sa rentrée officielle au lycée Michelet en classe de quatrième B2. Elle a 15 ans, soit environ deux ans de retard à cause du changement de langue. On a retrouvé ses carnets de notes à Auvillar : c’est une excellente élève en langue et dessin, les résultats sont satisfaisants en lettres et sciences.

Le 15 décembre 1940, Adèle reçoit son bulletin de notes du premier trimestre. La directrice Madame Soulié écrit : « Adèle suit la classe avec profit. J’espère que le second trimestre sera tout à fait satisfaisant ».

A cette époque, à Vichy, le conseil des ministres arrête un statut des juifs. Les préfets de la zone sud auront la possibilité d’assigner à résidence ou même d’interner les « ressortissants étrangers de race juive » .

C’est le 6 novembre 1940 que le maréchal Pétain effectue son premier voyage officiel ; il est reçu à Montauban et à Toulouse.

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage163Les Kurtzweil à Montauban 1941

Le 15 janvier 1941, il est créé un centre d’internement pour « étrangers en surnombre » au camp de Judes près de Septfonds.

Le 23 mars 1941, Vichy crée le Commissariat Général aux questions juives. Le 6 juin 1941, l’Etat Français publie la seconde vague du statut des juifs qui prescrit leur recensement. En septembre la préfecture de Tarn-et-Garonne recense 1826 juifs, dont 548 français.

Le 7 juillet 1941, Adèle est admise en classe de troisième au lycée Michelet. A partir de septembre, Bruno Kurzweil essaye d’obtenir un visa pour le Mexique. Ces démarches l’occupent jusqu’au mois d’août 1942, démarches toujours sans suite.

Or, dès le 20 janvier 1942, la conférence de Wannsee décide de la « solution finale de la question juive ».

Le 4 mai la famille Kurzweil est assignée à résidence à Auvillar.

Adèle qui est toujours élève au lycée Michelet est autorisée à résider à Montauban. Elle obtient un sauf-conduit pour effectuer les aller-retour Montauban-Auvillar.

Le 1er juillet 1942, la Directrice du lycée Michelet invite les parents d’Adèle à la distribution des prix qui doit avoir lieu le 13.

Les 16 et 17 juillet 1942, c’est la rafle dite du Vel’ d’Hiv.

13 000 juifs sont arrêtés à Paris par la police française. Ils seront déportés.

Le 16 août, une prédication est dite en faveur des juifs traqués en chaire au temple des Carmes à Montauban.

Le 20 août, Mgr. SALIEGE, archevêque de Toulouse, rédige une lettre de protestation contre les déportations de juifs qui sera lue dans les églises du diocèse le dimanche 23 août. Le 26 août, l’évêque de Montauban en fait de même.

Le 24 août 1942, la gendarmerie d’Auvillar reçoit l’ordre de procéder à l’arrestation des israélites. Le même jour 84 juifs sont transférés du camp de Judes vers Drancy : sans doute pour libérer des places !

Le 26 août, Adèle et ses parents sont arrêtées place de l’Horloge à Auvillar, ainsi que les trois autres familles juives. Ils sont dirigés sur le camp de Septfonds.

Dans la nuit du 1er au 2 septembre, les deux cent onze israélites internés au camp de Judes, sont amenés à la gare de Caussade, puis intégrés à un convoi régional pour Drancy

Après une semaine d’internement, les Kurzweil et les 203 survivants sont transférés vers Auschwitz par le convoi n°30. Ils y seront tous exterminés dans les chambres à gaz dès leur arrivée.

Dans les ténèbres

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage165C’est en avril 1943 que Joseph Delom, expéditeur en fruits à Montpezat de Quercy, forma le premier groupe opérationnel pour le renseignement et le camouflage des jeunes qui fuyaient le S.T.O.

Au même moment, Pierre Cabarroques, à Caussade, contacté par Noël Duplan depuis la fin 1942, entre dans la résistance active en accomplissant de nombreuses missions d’organisation du maquis Bir-Hakeim.
Au début le maquis est peu important : une dizaine de réfractaires, qui, sous les ordres d’André Fiquet (pseudo : Tataouine) sont localisés à la bergerie de Vieille, sur la commune de Lavaurette – Saint-Georges, tout près de Saint-Symphorien.

Puis le maquis s’étoffe peu à peu. Dès janvier 1944, une antenne de dix sept hommes, sous les ordres de Tataouine, se déplace vers Montpezat. Ils trouvent cantonnement au vieux moulin Roland, près de l’église de Saux. Ils y restent peu de temps. Le groupe, conduit par Delom, s’installe vers le hameau de la Salvetat, lieu-dit : les Garennettes, dans les fermes avoisinantes, s’y ravitaillant et y cachant du matériel.

Dans la nuit du 29 au 30 avril, ils font sauter la voie ferrée Toulouse-Paris au tunnel de Viandès, à l’est de Montpezat.

Max Hastings, qui a eu accès au journal de marche de la division Das Reich, lie les événements qui vont suivre à la recherche des terroristes, d’autant que réside à Montpezat un réfugié d’origine sarroise, René Broer, installé avec sa femme et ses enfants, et redouté pour son activité pro-allemande. Dévoilé comme indicateur, il sera plus tard, en juillet, arrêté par Tataouine qui le ramènera dans le camp militaire de Caylus, dernière localisation du maquis Bir-Hakeim. Jugé et condamné à mort, il sera fusillé dans la combe de Pech-Sec.

Dans la nuit du 1er au 2 mai, vers 3 heures, les allemands investissent les abords de Montpezat, aux « Garennettes ». Les soldats qui opèrent sont sous les ordres de la kommandantur S.S. de Caussade n° 59 544. Un maquisard, Guy Pierlot, de garde, tire au fusil-mitrailleur sur une patrouille S.S., à l’orée du bois situé entre la ferme Verdier et la ferme Crantelle. Il y aurait eu 6 à 7 tués et autant de blessés chez les allemands. Cette action de retardement permet à ses camarades de fuir vers Perches et Lapenche.

Pierlot, tout en continuant à tirer, se réfugie dans la ferme Crantelle. Les S.S. l’assiègent, mettent le feu au bâtiment vers 4 heures. On retrouvera plus tard dans les ruines incendiées les restes de Guy Pierlot. Le fils Crantelle réussit à s’enfuir miraculeusement. Mais Marie-Louise Crantelle, qui essayait, à son tour, de s’échapper, est abattue dans les blés avoisinants par une rafale de mitraillette.

Puis les allemands incendie la ferme Verdier, épargnant madame Verdier en raison de son attitude secourable à l’égard de quelques blessés allemands.

A 8 heures, ils sont à la ferme Valès qu’ils brûlent. Ils continuent par les maisons de Ruamps Moïse et Massip Henri. Au lieu-dit « Petit », ils mettent le feu aux fermes de Coquès André, Régis, Morane et Coquès Henri.

Avant de brûler chaque ferme, ils pillent, libérant cependant le bétail qu’ils emmènent en réquisitionnant les habitants pour le conduire. Les porcs sont surtout l’objet de convoitise. Ils les tuent sur place et emportent leur viande.

Non contents d’avoir tout pillé et incendié, les allemands emmènent les propriétaires et les domestiques comme otages. Certains seront déportés en Allemagne d’où ils ne reviendront pas :

•    Ruamps Henri, mort à Dachau le 30 janvier 1945 ;

•    Valès Germain, mort en Allemagne ;

•    Crantelle Albert, mort à son retour le 31 mai 1945.

Tandis que la terreur se répandait dans la campagne, vers 9 h 30, d’autres groupes de S.S., montés sur chenillettes, prenaient possession du village de Montpezat. Les S.S. procèdent aussitôt à des arrestations qui se combinent avec des exactions et des brutalités d’une extrême violence.

Le maire, M. Cros, est arrêté. Une jeune fille, Marie-Antoinette Orcival, est également arrêtée.

Sa belle sœur, Marguerite, témoigne :

« Marie-Antoinette était infirmière et au titre du Secours national avait en charge les réfugiés. Elle suivait avec passion les événements et parlait d’un prochain débarquement. Je lui conseillais la prudence.

Le 2 mai, elle était sur la place, attendant un attaché du préfet, quand sont arrivés les S.S. « Arrêtez cette jeune fille à la jupe écossaise ! » Ils l’ont enfermée au café Barthe, où je suis allée lui porter sa carte d’identité, car ils la disait juive, parce que mate de peau, avec des cheveux très bruns et un nez busqué. Le soir, je l’ai vue partir sur le camion, seule femme au milieu d’une douzaine d’hommes. Je suis allé à Toulouse quelques jours après pour la voir à la prison Saint-Michel où elle était incarcérée. Je n’ai pu la rencontrer. »

Trois malheureux : Négrier, coiffeur ; Dupuy, mécanicien ; Salvador Benjamin, cultivateur, accusés d’avoir aidé ou ravitaillé les hommes de la Résistance, sont torturés dans la maison Laroque, près de la mairie.

Vers 15 heures, ayant accompli tous ces exploits, les allemands se retirent enfin. Tous les otages sont embarqués sur camion et emmenés à Caussade. Certains d’entre eux seront renvoyés chez eux le soir même. Mais plusieurs seront déportés en Allemagne.

La population du village, terrorisée, qui s’était prudemment verrouillée à l’intérieur des maisons, commence à se risquer dehors. La vie reprend peu à peu.

Mais vers 20 heures, survient une nouvelle alerte. Une deuxième occupation du village a lieu, toujours par la même brigade de S.S.. Ces derniers, apparemment sous l’influence de boissons alcoolisées, vont faire preuve à nouveau d’un déchaînement de férocité. Les voilà qui courent en tous sens, hurlant comme des forcenés. Ils perquisitionnent de maison en maison, poussant au dehors leurs occupants. Arrêtant toutes les personnes qu’ils rencontrent dans les rues, ils rassemblent les uns et les autres sur la place de la mairie, fusils-mitrailleurs braqués sur eux. Pendant ce temps, la maison Valmary brûle.

Des S.S. arrêtent le chanoine Galabert et l’abbé Schaff prêtre lorrain, réfugié à Montpezat. Ils sortaient de l’église où était célébré l’office du mois de Marie. Les allemands font monter le curé sur la place avec les hommes, et collent au mur le prêtre lorrain, mitraillette dans le dos. Pendant l’interrogatoire musclé, et en allemand, de ce dernier, les S. S. mettent le feu à deux maisons voisines appartenant à M. Delpech et M. Bonnet, ainsi qu’au presbytère. Dans la maison Bonnet, une petite fille de 3 ans, Lucette Berthe, sera brûlée vive avec son grandpère Charles Rathberger. Une troisième personne, Jean Costes, âgé de 60 ans, venant de Lapenche à Montpezat voir sa sœur, est arrêté et probablement fusillé et jeté dans les flammes.

Quand toutes ces opérations sont terminées, les S.S. remontent dans leurs camions et s’en retournent définitivement à Caussade. Ils emmènent avec eux un certain nombre d’otages qui seront déportés :

•    Delpech Félix, mort à Dachau le 22 janvier 1945

•    Dupuy Eugène et Négrier Clotaire.

A la suite de ces événements épouvantables, Mgr. Théas, évêque de Montauban, adresse, le 6 mai, la lettre suivante au commandant Bladlow, chef de la kommandantur:

« Mardi dernier ta commune de Montpezat a été le théâtre d’événements douloureusement tragiques. Défenseur de la justice, gardien du droit naturel, je manquerais gravement à mon devoir si, en face de tels actes de terrorisme et de barbarie, je ne faisais entendre la protestation indignée de la conscience humaine et chrétienne. Le vainqueur a le devoir d’assurer l’ordre, et non de faire du désordre. Si le vainqueur pratique le terrorisme, il est disqualifié pour l’interdire…».

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage167Place de Montpezat de Quercy
Maison de M.A. Orciva

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage168C’est dans ce contexte que le destin de Marie-Antoinette ORCIVAL va basculer.

Marie-Antoinette ORCIVAL est née le 28 février 1920, à 10 heures du soir, dans la maison de ses parents, place de Reduch à Montpezat de Quercy. L’enfant a été déclaré le lendemain 1er mars par son père Jean-Marie Adrien Orcival, alors âgé de 37ans, lieutenant au I8ème escadron du train des équipages en garnison à Bordeaux. La mère, Elisa Marie-Antoinette, âgée de 29 ans, est sans profession.

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage169-1 A la libération, en août 1944, son père est chef d’escadron en retraite. Son frère, Raymond, qu’elle appelle Ramuntcho, est chef de bataillon de chasseurs à la subdivision militaire de Marseille, replié à Vais les Bains en Ardèche. Son beau-frère, le capitaine Cullmann, du 25e Bataillon de chasseurs, est en captivité en Allemagne à l’oflag IV – D.

Pendant la guerre 1939-1940, après de brillantes études secondaires au lycée Michelet de Montauban, elle est infirmière bénévole de la Croix-rouge à l’hôpital annexe de Montauban. A la dissolution de cet hôpital, elle se consacre à une crèche du Tarn-et-Garonne, toujours comme infirmière bénévole. Par la suite, elle s’occupe de petits enfants de familles réfugiées. En 1944, elle est assistante cantonale du Secours national, candidate au service auto de la Croix-rouge, ambition non réalisée vu l’état de santé de son père qu’elle ne pouvait quitter celui-ci étant paralysé.

Est-ce par un concours de circonstances qu’elle est arrêtée le 2 mai 1944 par les S.S. ? ou bien a-t-elle été dénoncée comme ayant ravitaillé le maquis ?

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage169-2Elle est donc emmenée à Toulouse et incarcérée à la prison Saint-Michel. Pierre Guiral, président du comité départemental de la libération de Tarn-et-Garonne, écrira le 10 janvier 1949 :

« L’attitude de Marie-Antoinette Orcival au moment de son arrestation par les S.S. de la division Das Reich, a été extêmement courageuse. Malgrè les tortures infligées par la gestapo à laquelle elle avait été livrée, elle a observé le plus complet mutisme, sauvant ainsi de la déportation ou de la mort, de nombreux résistants ».

En effet, André Petit, de Rauby, témoigne :

« Après notre arrestation, les S.S. nous ont conduit à Caussade, puis à Montauban, à la gestapo faubourg du Moustier. Là, interrogatoires musclés, ponctués de coups de poing, pour nous faire parler : « Où sont les maquis ? » Puis transfert par la feldgendarmerie jusqu’à la gare : « Vous avez des terroristes chez vous, vous allez être fusillés. « Départ pour Saint-Michel à Toulouse. Nous sommes restés trois semaines en cellule avant d’être expédiés sur Compiègne. »

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage170Marie-Antoinette Orcival
3ème au premier rang à partir de la gauche Lycée Michelet – 1930

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage171Nous connaissons la suite de l’histoire vécue par Marie-Antoinette Orcival grâce à deux lettres écrites par cette dernière et parvenues miraculeusement à sa famille.

La première fut griffonnée le 19 mai 1944 à la prison Saint-Michel de Toulouse sur une feuille de calepin pliée en quatre. L’écriture est nette, bien déliée. D’un côté on lit :

« La personne qui trouvera ce mot sera bien dévouée de le faire parvenir (Détenue politique – Prison St. Michel). A remettre ou expédier à la famille Orcival – Montpezat de Quercy – Tarn et Garonne ».

En effet, dans un premier temps, Marie-Antoinette avait préparé quelques lignes pour les jeter sur la voie ferrée si elle était passée en gare de Cahors.

Or dans le train qui emmenait les détenus, un prêtre lui aussi déporté, qui réussira à s’évader à Marmande, se trouva fortuitement dans le wagon où se trouvait Marie-Antoinette qui lui remit son pli. C’est ainsi que Madame Orcival mère reçut par la poste la lettre de ce prêtre, l’abbé Paul-Louis, ancien vicaire à Clichy, qui lui transmettait les lignes de sa fille. C’était le lundi de Pentecôte 1944.

Lettre de l’abbé Paul-Louis

Le Mans le 23 mai

Madame,

Je me trouvais dans le même wagon à bestiaux qui conduisait la demoiselle qui a écrit ce petit mot. Elle me l’avait confié pour que je puisse le donner à des civils libres. Ayant eu la chance de pouvoir m’évader, je vous transmets ce petit mot en vous disant mon admiration pour le moral de cette demoiselle dont je ne sais pas le nom.

Elle était conduite au fort de Romainville où, je crois, la vie sera moins dure qu’à St. Michel. Elle se trouvait avec d’autres compagnes d’un courage merveilleux.

Je ne puis vous donner mon adresse. Vous comprenez pourquoi, d’autant que je puis me réfugier ailleurs. Mais quand vous pourrez écrire à cette demoiselle, faites-lui savoir que l’abbé Louis était avec elle et qu ‘il s’est évadé, s’en est tiré sans trop de mal et qu ‘il s’excuse de ne pas avoir dit au revoir, ni prévenu, mais qu ‘il ne le pouvait.

Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes salutations distinguées.

Abbé Paul Louis

Ancien vicaire à St. Vincent de Pau! de Clichy
PS. : Je crois qu ‘il serait bon d’envoyer du linge et ravitaillement si possible. Pour savoir comment faire, il faudrait que quelqu ‘un de votre famille vienne à Paris voir la Croix Rouge. C ‘est indispensable, je le crois.
Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage17219 Mai

Quittons demain matin Toulouse destination Paris Romainville – Ecrirai dès que possible – Moral excellent Je tiendrai. Je vous demande le calme, voire la gaité si possible. Je pense surtout à papa et vous recommande de le suivre pas à pas au moral comme au physique afin qu ‘il reprenne son activité
Amitiés Baisers  Souvenirs
Courage ! à tous et à  Papy

M.A.O.

Treize mois passèrent. Sans nouvelles. Sans rien, qu’une immense inquiétude. Qu’une profonde douleur.

Fin juin 1945, soudain l’espoir démesuré. Cinq feuillets de la poste allemande (Feldpostbrief), de couleur verdâtre, huit pages écrites au crayon, parviennent à Montpezat de Quercy.

Le pli est adressé depuis l’hôpital de la Salpétrière à Madame Orcival par le vaguemestre de l’établissement. Ces pages écrites par Marie-Antoinette Orcival, avaient été confiées à une Madame Rubinstein, rentrée plus tôt en France et qui mourut à son arrivée à Paris. Les lettres furent trouvées dans le sac de cette dame et réexpédiées à l’adresse indiquée.

Dans ces huit pages, il y a deux parties : l’une, sans date, mais probablement de la fin mai 1945, relate le départ depuis Romainville pour Sarrebruck. La seconde partie, plus longue, est datée du 13 juin 1945 six jours avant la mort de Marie-Antoinette. C’est la description de l’innommable, le mal absolu.

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage173Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage174Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage175« De Romainville on est partie 50 par la gare de l’Est. Wagon luxe. Arrivée Sarrebruck : 1er martyre. Camp disciplinaire hommes. Camp de passage : femme. Dix-sept jours sans air, sans eau, sans nourriture. Haine : bagages confisqués. Transports Ravensbruck : camp d’horreur, 80 km au nord de Berlin. La Baltique, les lacs, les sables. Ici la cité de la mort. Perte des vêtements. Corvées impossibles. Enfermées 1000. Quarante jours sans air. Moi employée à la plonge dans une eau glaciale. J’ai eu phlegmon du majeur droit. J’ai été endormie, opérée et mon doigt est revenu, l’ongle aussi. Je n ‘ai pas pu partir dans un transport à Liepzig, ce qui m’a permis de connaître Mademoiselle Gayot, la fille du mari, Madame Guiral et sa fille de Montauban.

Je suis partie en transport pour les mines d’Eisfeeben Beendorf aménagées par Askagna Werk. Travaux formidables. Travail 450 sous le sol : ascenseurs humides. La mort. Air ventilé. J’avais un Pints Hoel H12 et coupais des barres au travail cuivre.

Debout 12 heures sans eau. « Munster » surveillaient les machines . On avait toujours les posten S.S. et les officierines prêts à frapper. Là, travaillaient 1000 allemands, 4000 rayés, homme ou femme. Au Lake c’était la terreur. 3 heures sommeil. Fouilles. Bastonnades.

J’ai fait un gros effort. Je vous laisse, vous embrasse de tout mon cœur à tous. A bientôt Paris ».

M.A. Orcival

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage176« Le 13 juin

A ma maman chérie À mon papa que j’aime tant A mon Ramuntcho. A mon oncle A Marguerite et José-Marie A maman Cullmann

C’est avec des larmes que je vous écris. Je suis si heureuse d’en avoir la force. Au début mai, j’ai fait donner de mes nouvelles et j’attendais des nouvelles. Je n’ai encore rien de vous. Malgré le raisonnement, j’ai une tension d’esprit douloureuse, surtout la nuit. Il me tarde de vous lire. J’ai échoué à Hambourg où les bombardements nous ont privés d’eau, électricité, chemin de fer. On répare, ce qui fait espérer. Mais j’espérai un courrier avion !

Le 2 mai. Triste anniversaire où je suis hantée par le cri de mon papa, le regard de ma maman, et vous tous que je laissais. J’étais bien peu de chose. Je vais vous parler de mon état de santé, puis vous donner des détails sur ma vie.

Je suis alitée depuis le 5 décembre où sur un 40° j’avais des grosseurs sur les jambes comme des melons. Dans le « lager » on n ‘a pas droit au docteur. Il n’y a pas de médicaments. Mes jambes deviennent dures, noires, et énormes. Je dus partir à la mine avec trente-neuf de fièvre. La neige. Appel 6 heures. Sans chaussures. Je suis reconnu pour garder le lit au « revier ». J’avais une pleurésie poumon gauche. Une doctoresse juive vint avec un convoi. Elle fut bonne pour moi. J’eus de l’eau. Je l’avais éliminée par transpiration, mais quelle souffrance dans des couvertures et rongée par les poux.

Depuis février, les consignes étaient moins sévères et tranquillement j’attendais la fin. Je ne souffrais plus, me levais, mangeais. Le soir je faisais un peu de température. L’ordre de laver arriva :couvertures, literies. On nous fit coucher dans des couvertures mouillées. Malgré deux chemises et une robe de chambre je pris froid au côté droit. Depuis, c’est lui qui m’inquiète. Les Américains étant à Brunswick, le commandant du lager décida le transport. Evacuation :

Hommes de toutes nationalités : 2000 Femmes de toutes nationalités : 2000

Femmes juives évacuées d’Hotchnish : 2000, dont 1000 malades. Squelettes.

Je fis 800 mètres au soleil pour aller prendre un wagon où nous étions affreusement serrées. Wagon Revier !! Sans paille, une couverture.

Vêtements : deux chemises, la robe rayée, des bas, mais pas de pull-over. Malades juifs hongrois, allemandes étaient là.

Allemandes droit commun. Ecusson noir : maison publique. Ecusson vert : vol.

Elles avaient droit de vie sur nous après les officierines, toujours accompagnées d’un S.S. homme.

Il y avait 60 wagons, certains découverts. Je ne sais le but du commandant. A Magdeburg, les Américains étaient là. Sous la mitraille on passa. Nous étions partis le 10 avril et nous avons erré parmi les bombardements sans locomotive prise par l’armée. 17 jours sans nourriture, sans eau, privés par les droits communs allemands qui avaient tout. En wagon blindé, les femmes devinrent folles, surtout les hongroises. On les attacha, on les drogua, on les battit. Il y eut 2 morts par wagon. Squelettes tuméfiés, les femmes se tuaient à coups de couteau. On passait la nuit sur un cadavre. Au jour, tout le monde descendait dans le froid. On enterrait les morts, mort crosse de fusil, coups de souliers. Il y eut 900 morts. Je perdis la connaissance le 4ème jour et reviens à moi le 29 avril : Miracle de Lourdes. Toujours pas de docteur. Mes camarades mourraient d’heure en heure. Après avoir été trainées sous la pluie, passées de bras en bras de soldats, nous étions au Danemark. On bombardait Hamburg. Le 2, il y eut la commission. On avait rejoint Hamburg en camion, roulé dans une couverture. Je reçus deux chocs aux iliaques, un au rein gauche.

Le 2, les Américains étaient là. Les commissions transportèrent les grands malades en clinique. Quelle joie. Pour moi, je suis mal en point. Examen complet. Etat squelettique. Pieds tuméfiés par les bottes. Coups sur la 3ème vertèbre après le cervelet, ce qui me donnais des saignements et de grands vertiges. Vous ne pouvez savoir ce que j’ai souffert. C’est surhumain. Des organes, des membres. Je ne pouvais faire aucun mouvement n’ayant plus de muscle. Ici, j’ai eu des soins extraordinaires, des bains. Je dors sur un matelas d’air. 4 docteurs sont là. J’ai vu mes radios. Le poumon droit est malade et on a trouvé de la tuberculose. Pour moi j’ai été d’une grande tristesse. Mais il faut se résigner. J’espère en Notre Dame de Lourdes : elle m’a sauvée et dans quelques mois me remettra debout. J’ai eu la joie d’avoir un prêtre allemand qui cause français. Il me porte la communion et vient souvent.

Dans 2 semaines, je dois rentrer en avion. Je suis inscrite. Si je suis assez forte, Paris. On enverra un télégramme ».

Il n’y eut pas de télégramme. Cependant, début juillet 1945, un avis du ministère des prisonniers de guerre, déportés et réfugiés, direction de l’absent, informait la famille Orcival que Marie-Antoinette Orcival, hospitalisée près de Hamburg était en instance de rapatriement.

Mémoires conjuguées Partie 1 : A Kurtzweil et M.A. Orcival
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