Page 279-283 du Livre « Avant que Mémoire ne Meure »
Le service d’ordre légionnaire et la milice en Tarn-et-Garonne
La Légion Française des Combattants
Créée le 29 août 1940, la Légion Française des Combattants rassemble tous les anciens combattants des guerres de 1914-1918 et 1939-1940. En outre, elle admet en son sein les personnes qui partagent son idéal civique, social et moral, qu’ elles soient du sexe masculin ou féminin. Chacun de ses membres «jure de continuer à servir la France avec honneur dans la paix «comme» il l’a «servie sous les armes.» De «consacrer toutes» ses « forces à la Patrie, à la Famille, au Travail. » De s’engager à «pratiquer l’amitié et l’entr’aide vis à vis de» ses «camarades des deux guerres, à rester fidèle à la mémoire de ceux qui sont tombés au champ d’honneur.» D’accepter «librement la discipline de la Légion pour tout ce qui » lui « sera commandé en vue de cet idéal.»
La Légion Française des Combattants n’est pas une association de droit commun. Elle a été créée par la loi qui, en son article 2, précise : «la Légion Française des Combattants a pour mission : de grouper au Service du pays tous les anciens com battants ; d’assurer la collaboration des anciens combattants à l’œuvre des pouvoirs publics dans le cadre des communes, des départements, des provinces et de la Nation.» Elle est reconnue d’utilité publique.
Son chef est : Philippe Pétain, maréchal de France.
Le gouvernement de Vichy avait besoin d’un lien entre lui et l’opinion publique, lien sollicité par le chef de 1′ Etat lui-même dans son allocution du 17 juin 1940 par la phrase : «Sûr de l’appui des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur» et tous les poilus, qui cherchaient à s’unir depuis des années sans y parvenir même après un premier regroupement qui s’opéra en 1939, purent être ce lien sous l’impulsion de cet embryon unitaire et de l’action du Secrétaire Général aux anciens combattants du nouveau gouvernement : Xavier Vallat, en se ralliant à un chef vénéré. Ils devinrent maréchalistes, inconditionnels de l’homme et de sa politique, cadres idéologiques dans chaque ville, chaque village, béret basque sur la tête et insigne légionnaire à la boutonnière affirmant ainsi l’influence de leur pouvoir et celui d’un groupement unique de la vie civile.
C’est pourquoi, en Tarn-et-Garonne le chef départemental de la Légion d’Escayrac et son commissaire à la propagande Moens demandèrent à tous les chefs communaux d’appliquer les dispositions suivantes :
« Toutes les manifestations cantonales devront être placées sous légide d’une pensée du Maréchal, c’est ainsi que :
. lors de la montée des couleurs dans les établissements scolaires ; . lors de la montée des couleurs sur les stades ;
. avant la levée du rideau dans toutes les salles de spectacles ou tout autre lieu public où serait rassemblé un certain nombre de spectateurs ; . au cours d’une journée sportive ; . au cours d’une séance cinématographique ; . au cours d’une soirée artistique ; le chef de la propagande locale choisirait une pensée du Maréchal qui serait lue par une personne qualifiée, à haute et intelligible voix, devant l’assistance debout et recueillie. »
«Je vous demande donc, lorsque vous ferez ou qu’il sera fait une réunion ou manifestation quelconque, de bien vouloir vous conformer aux instructions précitées.»
«Dans ce but, si les manifestations ou réunions n’étaient pas faites par la Légion, il y aurait lieu de vous mettre en relation avec les municipalités afin de leur suggérer cette idée.»
«Il est évident que vous ne trouverez pas toujours l’accord des municipalités.»
«Vichy nous demandant de lui faire connaitre quelles sont les réactions que donneront cette application, vous voudrez bien nous signaler toutes les difficultés ou différents que vous pourrez rencontrer.»
Le Service d’Ordre Légionnaire
Début janvier 1943 notre département compte 9.882 légionnaires 14-18, 2.132 légionnaires 39-40, 705 légionnaires volontaires hommes, 212 légionnaires volontaires femmes et 200 membres du S.O.L. (service d’ordre légionnaire). Le S.O.L. est un mouvement politique créé le 12 décembre 1941 et dont un des buts avoués est de «faire accepter, puis comprendre, puis aimer un Etat autoritaire et hiérarchique à un peuple qui a vécu pendant soixante dix ans dans un régime parlementaire.» Ce mouvement, placé sous la direction de Joseph Darnand, héros de la grande guerre, orateur de la cagoule, apte en principe à promouvoir la «Révolution Nationale» de Pétain, dérive avec la protection du gouvernement, vers des actions de répression et de brigandage »‘. Il se transformera en janvier 1943 en milice.
La Milice
A cette époque la légion perd 161 membres et le S.O.L. qui est devenu milice en gagne 102. C’est, en effet, l’époque des jeux et des enjeux succédant à celle de l’attente et de la lassitude après celles de la mise en place du régime de Vichy et de la défaite. L’effectif de la Milice en Tarn-et-Garonne est de 200 S.O.L. + 102 légionnaires = 302. Tous portent l’uniforme bleu marine, béret et insigne, le gamma, troisième lettre de l’alphabet Grec et représentation zodiacale du Bélier. Tous sont volontaires et «moralement prêts et physiquement aptes non seulement à soutenir l’Etat nouveau par leur action, mais aussi à concourir au maintien de l’ordre.»
La milice sur le plan National est «administrée et dirigée par un secrétaire général nommé par le chef du gouvernement.» En Tarn-et-Garonne elle est constituée par sept groupes : 5 centaines de francs-gardes totalisant 194 individus, 1 groupe de 10 jeunes et 1 groupe de 98 miliciens, se répar-tissant, profession par profession comme suit :
(1)serment du SOL : je jure de lutter contre la démocratie, la dissidence et la lèpre juive.
Analyse sociologique et politique des formations Miliciennes
A la centaine de monsieur de Cambiaire, formée avec des individus âgés de 18 ans 4 mois (étudiant) à 42 ans 9 mois (opérateur-ciné) demeurant à Montauban et sa banlieue, 18 avouent appartenir au P.S.F. (8), à l’action française (6), au R.S. (1), au A.P (1), au C.D.F. (1), au J.P. (1). L’effectif est de 45, dont 5 sous-officiers de réserve.
A la centaine de monsieur Pendaries, forte de 72 individus provenant du centre, du sud et du sud-ouest du département, 62 reconnaissent être adhérents du S.P (41), du J.P. (10), de l’action française (5), du P.R.N.S. (3), au PS.F. (2), au M.V. (1). Le plus jeune est âgé de 19 ans (charpentier), le plus vieux de 45 ans 10 mois (agriculteur). Elle est encadrée par 7 sous-officiers de réserve.
A la centaine Criner, la plus faible en hommes (14) mais la plus forte en cadres (2 officiers et 1 sous-officiers de réserve) constituée d’individus originaires de la région de Caussade et du nord-est du département 6 précisent qu’ils sont membres de l’action française (4), du PS.F. ( 1 ), du J.P. ( 1 ). Le plus jeune a 20 ans 5 mois (étudiant), le plus âgé 41 ans (cantonnier).
La centaine Poilbarbe est formée par 22 individus demeurant à Cas tel sarrasin et dans sa région et dans celle de Beaumont de Lomagne dont 9 affirment une opinion politique : 1 S.F., 1 J.P, 2 action française, 5 PS.F. Le plus jeune est âgé de 20 ans 6 mois (agriculteur) et le plus âgé a 43 ans (ingénieur). Deux sous-olliciers de réserve l’encadrent.
Dans la centaine Renard, constituée par 41 individus de la région de Moissac-Valence d’agen et de celle du nord-ouest du département, 7 militent à l’action française, 5 au PS.F., 2 au J.P, 1 au C.D.F. Le plus jeune de tous a 17 ans 1 mois et déclare être agriculteur. Le plus âgé est industriel. Il a 52 ans. Quatre sous-officiers de réserve sont incorporés dans ses rangs.
Chez les miliciens 9 appartiennent au PS.F., 9 également à l’action française, 2 à l’U.R.D., 5 au P.P.F., 2 au R.S., 1 au F.R 1 au P.R.N.S., 1 au J.P, 1 au C.D.F., 1 au S.F, 32 au total sur 98 composant cet organisme répressif.
Dans l’ensemble, 42 appartiennent au S.P, 33 à l’action française, 30 au PS.F., 16 au J.P, 5 au P.P.F., 4 au P.R.N.S., 3 au C.D.F., 2 à l’U.R.D., 1 au S.F., 1 au A.P, 1 au M.V., 1 au F.R. soit 32 miliciens et 110 francs-gardes politisés.
Si l’on connait le P.P.F. ( parti populaire français de Doriot ), le PS.F. ( parti social français du colonel de La Rocque ), l’action française de Mauras, on n’a rien par contre sur les autres sigles pour leur signification.
Il est à noter qu’aucun des chefs de centaine, sauf Renard, n’a de formation militaire : Renard est sous-officier et les autres cadres de la réserve s’égaillent dans toutes les autres formations, que l’origine géographique des francs-gardes et des miliciens est rarement située dans les régions où s’installeront, à partir d’octobre 1943, les maquis et les compagnies armées des mouvements de la Résistance et à retenir que le plus gros des troupes est constitué par des agriculteurs : 102 francs-gardes sur 194, qu’ils sont plus d’un tiers chez les miliciens : 37 sur 98.
Pourquoi les agriculteurs sont-ils les plus nombreux et les plus jeunes ? 102 dans les centaines sur 194, dont 36 ont moins de 25 ans et 72 moins de 45.
Est-ce parce que, lorsqu’ils étaient administrés sous le sigle S.O.L. par la Légion des Combattants, ils auraient retenu qu’en application du programme économique que doit mettre sur pieds pour relever le pays après la fin de la guerre le Conseil National de la Résistance récemment constitué, ils seraient les premiers dépossédés de leurs biens, du petit coin de terre légué par leurs parents et auquel ils sont très attachés, comme le leur signalait, le 6 juin 1943, le directeur général de la Légion des Combattants, Raymond Lachal ? Sûrement Pas, mais bien difficile d’affirmer.
Est-ce que leurs motivations correspondaient à des sentiments familiaux ou égoistes pour ne pas partir, au titre du Travail Obligatoire, en Allemagne y travailler ou bien à un besoin de rester au village pour s’occuper d’activités locales dans le sillage de la «Révolution Nationale ?» Peut être, mais là encore on ne peut affirmer.
Dans la quasi-majorité des cas ces motivations étaient d’ordre politique.
Quoi qu’il en soit, ils avaient choisi. Et de la Légion des Combattants à la milice en passant par le S.O.L., beaucoup suivirent par fidélité la triste aventure des «maréchalistes.» Dans la haine du «bolchevisme» et dans l’antisémitisme ils trouvèrent la justification de la collaboration qui les conduisit à porter l’uniforme au sigle Gamma. Ils haïssaient l’ordre bourgeois de la 3ème République qu’ils jugeaient responsable de nos malheurs, de tous nos malheurs. Et le socialisme qu’ils envisageaient devait être le «fruit d’une révolution de l’esprit menée par la nation toutes classes confondues à l’image du fascisme» comme l’affirma Laval, chef du gouvernement, le 22 juin 1942, dans son : «bientôt le socialisme s’instaurera partout en Europe.»
Ils avaient choisi en effet… Seules ou avec les troupes d’occupation les centaines de francs-gardes et la milice en Tarn-et-Garonne, voleront, brûleront, arrêteront et tortureront ceux et celles suspectés de résister.