Page 81- 85 du Livre « Cinquantenaire Libération de Montauban et du Tarn et Garonne »
André Etcheverlepo 30 juin 1912 – 2 juin 1944
De la déclaration de guerre à l’armistice, la région Midi-Pyrénées ne fut touchée par les événements qu’à travers la mobilisation et l’afflux des réfugiés. La vie politique était en sommeil. Le parti communiste entrait dans la clandestinité. Au parti socialiste, les éléments les plus dynamiques étaient aux années. Les notables soutenaient le gouvernement Daladier.
La défaite de l’armée française stupéfia tout le monde. Le partage de la France en deux zones, la mise en sommeil de la IIIe République et de bon nombre de libertés, ne soulevèrent aucune opposition dans l’immédiat. Seuls, 80 parlementaires s’y opposèrent. 1,5 million de soldats étaient prisonniers, ce qui touchait de nombreuses familles qui mirent d’ailleurs un certain temps à être renseignées sur leur sort. Ceux qui avaient échappé à la captivité attendaient leur démobilisation. Les réfugiés cherchaient d’abord à s’installer. La vie sociale se trouva donc bouleversée comme au lendemain d’un cataclysme. La propagande officielle se voulait à la fois rassurante et culpabilisante. Et il est bien connu que l’appel du 18 juin passa inaperçu. Ce n’est qu’au bout de quelques semaines qu’un semblant de vie politique commença à renaître dans les milieux antifascistes. Les réfugiés cherchaient à contacter des gens qui, avant la débâcle, avaient les mêmes idées ou militaient dans les mêmes organisations qu’eux. Cela autant dans un but d’entraide que d’échanges d’opinions. Les démobilisés cherchaient à contacter leurs anciens camarades. Pour ces premiers contacts, il y avait des lieux de rencontre privilégiés. Outre les cafés de la place du Capitole et la Bourse du travail à Toulouse, la librairie de l’exilé italien Sylvio Trentin, rue du Languedoc, était un de ces lieux privilégiés.
Sylvio Trentin était venu en France, fuyant le fascisme, en 1926. Professeur de droit, il avait refusé de prêter le serment que le régime de Mussolini exigeait des membres de l’enseignement supérieur. De plus, il était député du parti socialiste au Parlement de Venise. A son arrivée en France, il avait ouvert une librairie à Toulouse. Déjà, avant-guerre, son activité antifasciste avait été importante. La librairie était devenue un des lieux de réunion de tous les antifascistes qui venaient chercher conseil auprès de lui. Son prestige, ses hautes qualités morales et intellectuelles en faisaient un conseiller très écouté. On respectait son courage. Son attitude et sa renommée en faisaient un suspect aux yeux du nouveau régime. De plus, il était une cible toute désignée pour ceux qu’il avait combattus et qui maintenant tenaient le haut du pavé.
Nombre de ceux qui l’avaient connu avant la guerre venait auprès de lui chercher conseil pour savoir ce qu’il fallait faire. De nombreux réfugiés, attirés par sa renommée, venaient aussi le consulter. Ainsi, tout naturellement, la librairie de Sylvio Trentin devint un des tout premiers foyers de la Résistance à Toulouse.
Dans les premiers temps, il ne s’agissait que de discussions ayant pour but d’analyser la situation. Contrairement à la zone nord, où la présence effective des troupes allemandes rendait évident ce qu’il y avait à faire, en zone libre la situation était moins claire et nécessitait quelques analyses. Le régime de Vichy se montrait rassurant et la nécessité d’une action clandestine ne semblait pas aussi évidente.
Mais la véritable nature du nouveau régime ne tarda pas à apparaître à ces militants déjà expérimentés. C’est au tout début de l’année 1941 que l’un des nouveaux et assidus visiteurs de la librairie de Sylvio Trentin, Léo Hamon, amena un représentant d’une des toutes premières organisations de résistance de la zone nord « Le groupe du Musée de l’Homme ». Il s’agissait de Boris Vild qui allait bientôt être arrêté et exécuté. Des contacts furent prévus afin d’assurer la diffusion du journal clandestin que le groupe s’apprêtait à publier. Ainsi se constitua à Toulouse une succursale de ce que l’on peut considérer comme ayant été le tout premier mouvement de résistance français. On y trouvait des intellectuels parisiens réfugiés, comme Jean Cassou et Georges Friedman, mais aussi de jeunes socialistes toulousains, très liés à Sylvio Trentin, comme Achille Auban et Paul Descours.
A la même époque (janvier 1941), Pierre Bertaux, le futur commissaire de la République, est de retour à Toulouse. Il vient reprendre son poste de professeur d’allemand à la faculté des lettres. Absent de Toulouse pendant le Front populaire, il connaît lui aussi la librairie de Sylvio Trentin, qu’il a déjà eu l’occasion de fréquenter. Son opinion est faite au sujet du régime de Vichy qui vient d’emprisonner Jean Zay et Pierre Viénot, qui, tous les deux, étaient partisans de la continuation de la lutte en Afrique du Nord. Il est décidé à agir. Chez Sylvio Trentin, il va trouver des gens qui partagent ses convictions. C’est avec eux qu’il va former ce que l’on appellera « Le Réseau Bertaux ».
Les effectifs de ce réseau ne furent jamais importants. Cela n’empêche pas ce groupe d’avoir une place particulière dans l’histoire de la Résistance dans le Sud-Ouest. En effet, ce fut le premier groupe de résistants de la région à entrer en contact avec des agents de la France libre et à organiser des parachutages. Cela lui permit de s’orienter davantage vers l’action que vers la propagande. Ce sont les rescapés de cette organisation qui, après son démantèlement, formeront le mouvement « Libérer et Fédérer ».
Outre Sylvio Trentin et Pierre Bertaux, parmi les autres membres du réseau, on trouvait :
• Jean Cassou, conservateur de musée, en retraite, très actif militant antifasciste (chargé de la propagande) ;
• Francesco Nitti, réfugié italien, qui avait combattu en Espagne dans les brigades internationales (chargé de l’action directe et des sabotages) ;
• Jean-Maurice Hermann, reporter au Populaire, spécialisé dans les enquêtes sur les ligues fascistes (chargé du recrutement et de l’organisation) ;
• Gaston Van Hove, syndicaliste chrétien, bientôt représentant du mouvement « Témoignage Chrétien » (chargé des renseignements). Il appartiendra plus tard à « Libérer et Fédérer » où il sera un chef de file de la composante chrétienne ;
• Joseph Marchetti et Pierre Rychesbusch, militants chrétiens ;
• Louis Vaquer, éditeur, officier de réserve (chargé de la formation militaire) ;
• Achille Auban et Clément Laurent, tous deux socialistes et amis de Sylvio Trentin.
Le réseau Bertaux ne compte qu’une quinzaine de membres au moment de sa création en mars 1941.
En juillet 1941, le réseau entre, de façon fortuite, en contact avec un agent de la France libre : Henri Labit (alias Leroy), parachuté près de Caen, en Normandie, dans la nuit du 8 au 9 juillet et qui allait rejoindre Londres en passant par l’Espagne.
La liaison avec Londres était établie. Henri Labit sera de nouveau parachuté en France dans la nuit du 10 au 11 septembre 1941 en compagnie d’un opérateur radio. Il rejoindra aussitôt Toulouse. Le groupe Bertaux, qui dispose maintenant d’une liaison régulière, va pouvoir réceptionner ses premiers parachutages.
Le premier a lieu dans la nuit du 13 au 14 octobre 1941. sur un terrain situé près de Fonsorbes, au lieu-dit « Lamartinette ». Il permet de recueillir 2 agents de la France libre et plusieurs containers renfermant des explosifs, du matériel de sabotage et des armes. Ce premier parachutage causera une grande émotion parmi les membres du réseau Bertaux.
Le second parachutage a lieu toujours au même endroit dans la nuit du 6 au 7 novembre 1941. Il permet d’accueillir Yvan Morandat, chargé d’une mission de contact avec les mouvements de la zone sud, et de recevoir du matériel et de l’argent.
Cependant, le réseau Bertaux ne pourra poursuivre bien longtemps son activité. Les parachutages ne sont pas passés inaperçus. C’est dans les derniers jours du mois de novembre 1941 qu’interviennent les premières arrestations de membres du réseau. Pierre Bertaux est arrêté le 11 décembre. Jean Cassou, Jean-Maurice Hermann, Francesco Nitti seront arrêtés à leur tour. Clément Laurent, lui aussi arrêté, sera relâché. Mais, avant d’être interpellé, il avait eu le temps de déménager, avec l’aide de Pierre Castaing et de Gaston Van Hove, les armes que Pierre Bertaux avait entreposées chez lui. Ces armes seront cachées dans un caveau du cimetière de Terre-Cabade. Elles seront plus tard utilisées par « Libérer et Fédérer ».
Le réseau Bertaux est démantelé. Les membres du réseau qui ont été arrêtés seront jugés le 24 juillet 1942 par une juridiction française et condamnés à des peines relativement légères. Libérés dans le courant 1943, tous reprendront du service dans la Résistance.
Pour les rescapés du réseau Bertaux, une nouvelle période de contacts et de discussions allait commencer. Pendant toute l’année 1941, la Résistance s’était développée en zone sud. Les deux mouvements qui allaient fonder Combat ; « Vérités » et « Libertés » publiaient déjà chacun un journal. La fusion aura lieu au début de 1942. Des contacts s’étaient établis entre le mouvement « Vérités » et le réseau Bertaux. Mais le démantèlement de ce dernier mettra fin aux rapports de celui-ci avec le mouvement « Vérités ».
Le mouvement « Libertés » avait été créé à Toulouse par le docteur Parent et par Léo Hamon. Le réseau Bertaux était en relation avec ce mouvement par l’intermédiaire de Gaston Van Hove.
C’est aussi fin 1941 qu’apparaissent à Toulouse le mouvement « Libération » et le mouvement « Franc-Tireur ».
Le début de l’année 1942 est une période de regroupement pour la Résistance. Pour les amis de Sylvio Trentin se pose alors le problème de savoir s’ils vont rejoindre une de ces grandes organisations nationales en cours de formation, ou s’ils vont tenter de s’organiser de façon autonome.
L’attitude de certains élus du parti socialiste, qui se sont ralliés sans problème au nouveau régime, fait qu’il n’y a plus rien de commun entre ces militants, pour qui la Résistance n’est que la continuation du combat engagé déjà avant-guerre, et ces élus, pour qui le seul souci est la conservation de leur place, même au prix des pires reniements. A leurs yeux, des hommes placés à des postes de responsabilité et capables de tels reniements n’avaient plus rien de socialistes.
Au moment où les amis de Sylvio Trentin ont à se déterminer, il n’est pas encore question de reconstituer le parti socialiste. Sylvio Trentin encourage leur volonté de renouveau, qu’il souhaite voir aussi devenir une volonté de renouveau idéologique.
Mais si leur volonté de rénovation politique est l’une des causes de la fondation d’un mouvement autonome, elle n’est pas la seule. La tutelle de Londres était pour les futurs fondateurs de « Libérer et Fédérer » une condition inacceptable.
Toutes ces raisons rendaient difficile l’intégration des amis de Sylvio Trentin dans l’un des grands mouvements. Cela les confirma dans leurs intentions de se lancer dans l’aventure de la création d’un mouvement de résistance autonome. De plus, différents contacts leur avaient montré que de nombreuses personnes partageaient leurs opinions. En particulier parmi les anciens militants des Jeunesses socialistes, mais aussi parmi les militants chrétiens.
Parmi les anciens des Jeunesses socialistes, on trouve : Adolphe Coll, Maurice Fonvielle, Jean Monier, Pierre Castaing, des personnalités socialistes comme le professeur Camille Soula.
Parmi les militants chrétiens : Gaston Van Hove, le docteur Parent (avec l’accord du cardinal Saliège), Bornier.
Le programme du nouveau mouvement, élaboré par Sylvio Trentin. Gilbert Zacksas et Paul Descours sera diffusé sous forme de tracts, pour la première fois, le 14 juillet 1942, date symbolique. La dénomination de l’organisation « Libérer et Fédérer » est un résumé de ce programme.
C’est dans ce contexte qu’André Etcheverlepo, responsable du syndicat chrétien C.F.T.C. de la métallurgie, entra en contact avec le groupe Sylvio Trentin.
André Etcheverlepo, le type même du militant engagé, actif, dynamique, est né à Bayonne le 30 juin 1912. Marié, père de deux enfants, il est ouvrier ajusteur chez Latécoère à Toulouse. D’origine basque, il présente un physique de sportif, très brun, caractéristique. La droiture de son caractère lui faisait éliminer toute compromission. Ayant vécu les conquêtes sociales du Front populaire en 1936, il reste fidèle à son engagement syndical. Dès 1940, il souhaite « libérer le pays du régime nazi de Vichy pour que la classe ouvrière retrouve la liberté indispensable à sa montée vers plus de bien-être ». Ainsi, dès le début, il lutte contre la charte du travail imposée par Vichy, qui s’attaque aux syndicats et met en péril les libertés ouvrières.
Dans la Résistance, il est devenu « Rollin », un nom de la région qui sécurise. Il fait partie du premier groupe d’action directe de zone sud dans le réseau Bertaux. A partir de l’automne 1941, il adhère à « Libérer et Fédérer ».
En Tarn-et-Garonne, c’est fin septembre 1941 que Louis Cruvillier, cofondateur du Témoignage Chrétien clandestin, et le père Chaillet, pressentent Marie-Rose Gineste et M. Colombani pour assumer la fonction de responsables départementaux. Tous deux collaborent avec enthousiasme à la diffusion du Témoignage Chrétien jusqu’au 7 juillet 1942, date à laquelle ils subissent une perquisition domiciliaire. Par la suite, et jusqu’à la libération, seule Marie-Rose Gineste assurera la diffusion des Cahiers du T.C. et du Courrier du T.C. Le tout était déposé à son domicile par un agent de liaison envoyé par le responsable de Toulouse. Puis la distribution était réalisée le plus rapidement possible auprès des diffuseurs départementaux.
Peu de temps après avoir été contactée pour Témoignage Chrétien, Marie-Rose Gineste l’est à nouveau pour le mouvement «Libertés» par le docteur Parent de Toulouse. Fin 1941, les mouvements «Libertés» et «Vérités» fusionnent et le mouvement « Combat » naît de cette fusion. Marie-Rose Gineste devient alors responsable départemental de ce mouvement jusqu’à la création des M.U.R. (Mouvements unis de la Résistance) le 26 janvier 1943.
Comme pour Témoignage Chrétien et « Libertés », le but essentiel est la diffusion des journaux clandestins de «Combat». La première boîte aux lettres où étaient déposées les publications fut à la pharmacie Costes, grand’rue Villenouvelle à Montauban. A Toulouse, le point de contact était le bar des Glaces, rue Bayard.
Les réunions des responsables départementaux du mouvement « Combat » se tenaient généralement à Toulouse en des lieux différents : soit au numéro 1, place Saintes-Scarbes, soit dans la clinique du docteur Parent, soit chez le professeur Hauriou. rue Sainte-Anne. A ces réunions, assistaient parfois des responsables nationaux comme Léo Hamon et Henri Frenay.
Cependant, une rencontre des responsables départementaux se tint, en dehors de Toulouse, du 9 au 11 mai 1942, à Cathervielle, à 9 km de Luchon, dans une maison appartenant au docteur Parent. Marie-Rose Gineste et Jules Allamelle, secrétaire de l’Union départementale de la C.G.T., y participaient. Il y avait aussi Pierre Dumas, Gaston Van Hove et Charles d’Aragon.
Le 15 août 1942, une session de militants C.F.T.C. de la zone sud se tint dans la proche banlieue de Lyon, à La Rivette. Marie-Rose Gineste, André Etcheverlepo et Emmanuel Schirmer y représentaient la région Midi-Pyrénées. Il y eut une trentaine de participants dont François de Menthon, Georges Bidault, Marcel Poimbœuf. Tous, unanimes, en repartirent encore plus convaincus qu’ils devaient être présents dans la lutte pour libérer la France et recouvrer la liberté.
Fin 1943 – début 1944, plusieurs réunions des équipes chrétiennes engagées dans la Résistance se tinrent à Montauban avec Jacques Vanlaer (alias Michel), responsable à la J.E.C. de Toulouse. Ces réunions avaient pour but de voir et de déterminer quel était, en toutes choses, le devenir des chrétiens résistants. Dans l’équipe de Montauban, on trouvait Jean Labouisse, Berthe Delmas, Henri Cambon, Joseph Schaub, l’abbé Labordère…
Jacques Vanlaer avait des contacts fréquents avec les jeunes résistants. A Toulouse, dans une maison louée de La Roseraie, il réunissait des jeunes, la plupart jécistes ou jocistes, afin de les préparer à la guerre clandestine. Il leur apprenait aussi le maniement des armes. Début juin 1944, les Allemands, renseignés, firent irruption dans cette maison et arrêtèrent tous les occupants. Jacques Vanlaer, horriblement torturé, fut exécuté le 17 août, probablement à Buzet.
Après la réunion des militants C.F.T.C. à La Rivette, en août 1942, André Etcheverlepo avait accepté la responsabilité des parachutages en Tarn-et-Garonne, à cause de la présence amie que représentait Marie-Rose Gineste en ce département et de son engagement dans la Résistance. Ainsi venait-il souvent au secrétariat social de l’évêché où il demandait à Marie-Rose Gineste et Berthe Delmas l’écoute des messages radio pour les parachutages en Tarn-et-Garonne.
A la même époque se développait, parmi les cheminots, le mouvement « Résistance-Fer », dont le but essentiel était le sabotage des communications allemandes. « Libérer et Fédérer » et « Résistance-Fer » travaillèrent toujours en contacts étroits : Louis Dutilleux et Roland pour « Libérer et Fédérer », Louis Lassali et Louis Guicharnaud pour « Résistance-Fer ». André Etcheverlepo apportait les explosifs et les armes des parachutages.
A la fin mai 1944, il loge au premier étage d’une maison, place du théâtre, tout au début de la rue de la Comédie. Le 31 mai, alors qu’il est porteur de messages radio, il s’aperçoit qu’il est filé. Après un détour par la gare pour échapper à la surveillance, il arrive au secrétariat social, faubourg du Moustier ; Marie-Rose Gineste lui propose refuge chez elle. Mais il refuse, de peur de la compromettre.
Dans la nuit du 1er au 2 juin, il passe vers 23 heures par la ferme Noalhac, route de Nègrepelisse, chez la famille Marmiesse, et rentre chez lui, rue de la Comédie.
Dans un rapport de police du 2 juin, signé Sicard, on lit :
« Le 1er juin, des miliciens font irruption dans la chambre d’un individu dont l’identité est pour nous restée inconnue. Arrêté, celui-ci s’enfuit et, désarmé, pieds nus, vêtu seulement d’un pyjama, s’accroche les deux mains à un barreau du pont des Consuls, à plus de 15 mètres au-dessus du sol. Alors que les miliciens qui l’entouraient étaient au nombre d’une dizaine et que sa capture s’avérait certaine, l’un d’eux l’abat de plusieurs balles de revolver. Je sais qu’il a été découvert dans la chambre du mort un parachute de la R.A.F. qui indique d’une manière certaine qu’il s’agissait bien d’un militant actif de la Résistance. Mais outre l’intérêt qu’il y avait à le capturer vivant, il saute aux yeux que son exécution, si elle devait être ultérieurement jugée, ne devait pas révéler cette forme. Le brigadier Lebrun, de mon service, se rend sur les lieux avec quelques gendarmes. Il lui est ordonné, sous la menace des armes, de ne pas s’occuper de cette affaire. Par contre, les feld-gendarmes sont invités à se joindre aux miliciens. »
Atteint par 11 coups de revolver, le corps d’André Etcheverlepo gisait dans le passage de La Mandoune. La milice avait téléphoné à la police de venir récupérer un corps : « Il y a un macchabée sous le pont des Consuls. »
Marie-Rose Gineste fut avertie le 3 juin par M. Mallet, secrétaire du commissariat de police de Montauban, de la mort tragique d’André Etcheverlepo.
Le corps, criblé de balles, fut déposé à la morgue et photographié par un ami de l’Institut géographique de l’armée. Le 3 juin, il aboutit au cimetière, à la section HI, avec un numéro sur un piquet. Le concierge avait osé inscrire sur le registre d’entrée : « Abattu par la milice. ». Marie-Rose Gineste, conduite devant la tombe, fera au gardien la remarque : « Mais c’était un chrétien ! » ; alors celui-ci, saisissant une croix de fer abandonnée, la plantera sur la sépulture. Un prêtre résistant, l’abbé Labordère, bénira la tombe d’André Etcheverlepo. Le dimanche suivant, en revenant de Canals, Marie-Rose Gineste cueillera dans les champs des bleuets, des marguerites et des coquelicots, bouquet tricolore, qu’elle déposera sur la tombe.
Le samedi 4 novembre 1944, le corps d’André Etcheverlepo fut exhumé et transporté sur une prolonge d’artillerie dans la chapelle du grand séminaire pour une veillée funèbre solennelle où se relayèrent tout au long de la nuit les survivants des réseaux et les représentants des mouvements ouvriers.
A Toulouse, la cérémonie officielle à la cathédrale Saint-Etienne fut présidée par le cardinal Saliège, qui exalta l’esprit de sacrifice au service de la liberté.
Emmanuel Schirmer, de « Libérer et Fédérer », s’exprima au titre de l’amitié syndicale et résistante : « Le 2 juin 1944, la Résistance perdit un chef; le syndicalisme chrétien, un de ses plus ardents propagandistes… Son âme se révoltait, se cabrait sous le joug des consciences imposé par la servitude nazie… L’action menée par lui avait un but très précis : libérer le pays du régime nazi de Vichy, afin que la classe ouvrière ait accès à plus de progrès. Car André est, avant tout, un militant ouvrier. Président du syndicat chrétien de la métallurgie, il est le chef aimé de ses camarades et l’apôtre infatigable de la cause syndicale… Il propose et obtient une entente avec ses camarades de la C.G.T. pour lutter en commun contre la loi du 4 octobre 1941 qui institue le syndicat unique et obligatoire préconisé par la charte du travail… Mais cette résistance ouvrière serait vaine si elle ne s’accompagnait de l’action armée contre l’ennemi.
A 32 ans, André Etcheverlepo a donné sa vie pour la France et la liberté. Jamais, le sang des martyrs n’a coulé en vain. Son sacrifice n’a pas été inutile. Les vrais, les seuls vainqueurs, ce sont les affamés et assoiffés de justice et d’amour. C’est grâce à leur lutte implacable, menée dans l’épaisseur des ténèbres de la dictature nazie, que nous pouvons aujourd’hui contempler la splendide aurore du monde nouveau qu’ensemble nous avions juré de bâtir. »
Une plaque scellée à l’entrée du pont des Consuls porte ces simples mots :
Ici
André Etcheverlepo militant de « Libérer et Fédérer »
a été lâchement assassiné par la milice
le 2 juin 1944