Pages 87-94 du Livre « Afin que Mémoire Demeure »

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page87jpgJacques CHAPOU dit Capitaine Philippe

à l’âge de 35 ans.

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page88-1jpgAFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page89jpgPech Sec

A la suite de la relation de l’activité du Service du Camouflage du Matériel dans le
Tarn-et-Garonne, il est intéressant d’isoler le cas individuel d’un témoin privilégié : Manuel de Azevedo, employé civil au camp militaire des Espagots, près de Caylus, jusqu’à son assassinat par les S. S. le 1er juin 1944.

Bien que d’origine portugaise, il avait épousé le désir de libération et la volonté de résistance des habitants de ce Quercy où il s’était marié en 1934 et avait fondé une famille.

Maçon de profession, il est embauché pour la construction d’un hôpital militaire à Saint Pierre de Livron. L’entreprise dure deux ans, ce qui nécessite un recrutement de nombreux travailleurs venus des communes voisines. En 1939, la construction de l’hôpital est terminée. Manuel de Azevedo, qui a fait la connaissance de l’adjudant-chef du génie Cholet et de l’adjudant-chef Pechmagré en service au camp de Caylus, est engagé dans l’établissement militaire.

Au moment de la déclaration de guerre en septembre 1939, Manuel de Azevedo n’est pas encore naturalisé, bien qu’il eût fait une demande en ce sens. Il ne fut donc pas mobilisé. Tout le temps de la guerre, puis de l’occupation, il reste au camp où il travaille à la construction des bâtiments des Espagots.

En moins d’un an, la situation de la France va profondément changer. Le 22 juin 1940 est signé l’armistice de Rethondes. Le matériel de guerre doit être livré au vainqueur.

Mais certains officiers, parmi lesquels le commandant Normand, responsable militaire du camp de Caylus, choisissent de camoufler le matériel en dépôt au camp et dans la région. Jusqu’en octobre 1942, le commandant Normand fait ainsi procéder à des opérations de camouflage dans le camp et chez des particuliers volontaires.

En novembre 1942, avec l’invasion de la zone non occupée par les troupes allemandes, le processus s’accélère. Une véritable noria de camions de la TC.R.T transporte jour et nuit des effets militaires depuis l’intendance de Montauban jusqu’au camp de Caylus. L’adjudant-chef Pechmagré participe activement à ces camouflages.

Début décembre, un camion apporte un lot important de mitrailleuses, de fusils-mitrailleurs et de munitions. Sous la direction de l’adjudant-chef Cholet, une équipe de volontaires civils travaillant au camp descend les caisses au fond de figue de Rastibel.

Fin décembre 1942, les troupes allemandes prennent possession du camp. Les allemands ne restent pas inactifs. Ils découvrent certains dépôts et recherchent les auteurs de ces camouflages. Le 30 mars 1943 le commandant Normand est arrêté par la Gestapo. Le dépôt d’armes et de munitions de Rastibel est découvert.

Manuel de Azevedo a-t-il pris part activement à ces actions de camouflage au sein d’équipes de volontaires ? Quand le dépôt de l’igue de Rastibel a été repéré, il a été mis en cause par les autorités allemandes. Il était considéré comme suspect parmi d’autres. Comment ne pouvait-il en être autrement ? Employé civil permanent sur le camp, il était forcément au courant de toutes les activités de résistance, s’il n’y participait pas effectivement.

Ainsi durant toutes les années de 1940 à 1943, il travaille sur le camp. Tous les matins, à vélo, il emprunte la D. 85 jusqu’aux Espagots. Le soir, il rentre sur Jamblusse. Or, à la fin de 1943, une situation nouvelle perturbe l’environnement du camp. En effet, le 20 décembre 1943, le maquis  » France  » du capitaine Philippe ( Jacques Chapou) pénètre sur le camp. Il arrive du Bois noir près d’Arcambal dans le Lot tout proche.

À l’automne 1943, Philippe avait réussi à réunir dans les M.U.R. (Mouvements Unis de la Résistance) tous les groupements patriotiques existants dans le Lot : Libération, Combat, Franc-tireur, Libérer et Fédérer, A.S., Résistance Fer… etc…, Chapou ayant la lourde responsabilité des maquis.

Dans ses souvenirs, Georges Cazard écrit : « Traqués par les Allemands, les G.M.R. et (es mificiens, (es maquisards, en nombre d’une trentaine marchent toute la nuit, à travers bois, à travers champs, sous une pluie battante. L’obscurité était profonde. On allait lentement. Parfois les branches des taillis écorchait la figure. Leau s’écoulait goutte-à-goutte le long du visage et pénétrait dans le cou. Les vêtements s’alourdissaient sous l’averse qui durait. Au petit jour, la pluie cessa et la campagne, avec ses chênes jaunis, ses champs mouillés, ses brumes accrochées aux coteaux, avait pris un aspect triste et décevant.

Les 25 kilomètres qui séparent le Bois noir de Jamblusse furent enfin franchis. Cette région semblait propice. Particulièrement boisée, elle offrait aux maquisards les fermes et granges abandonnées du camp militaire de Caylus. »

Ainsi furent occupées les granges de la Boissière, dites granges de Cagnac.

Sans doute les Allemands, cantonnés à Montauban, y venaient-ils parfois faire des séances de tir et quelques manoeuvres. Mais ils prévenaient chaque fois le garde-champêtre de Beauregard. En effet, entre chaque séance de tir, les agriculteurs étaient autorisés à mener leurs bêtes pacager dans le camp. Ainsi, Philippe ne redoutait pas l’ennemi, lui aussi devant être averti de leur arrivée.

Enfin Philippe connaissait particulièrement la région. Après son mariage le 18 juillet 1930 à Cahors, la jeune Madame Chapou, institutrice, avait été nommée en poste à Belmont Ste-Foy, dans le canton de Lalbenque, limitrophe du Camp de Caylus. Elle y resta jusqu’en 1937. C’est à cette époque que Chapou devient un amateur fervent de la chasse. Il y consacrait des journées entières. Le gibier ne manquait pas dans la campagne belmontoise.

En pleine nature, au milieu des bois, à travers les landes pierreuses, il se sentait à son aise et vivait pleinement. La chasse aux sangliers le passionnait notamment. Il assistait à la plupart des battues organisées chaque dimanche autour de Jamblusse et dans le camp de Caylus tout proche. Ardent, infatigable, excellent tireur de surcroît, il abattait une besogne considérable dans la recherche du gibier. Mais il aimait aussi chasser la bête noire en solitaire. Les nuits de lune, il partait seul dans la forêt, se camouflait sous un chêne, près d’une piste de sanglier et avait la patience d’attendre une nuit entière le passage d’une compagnie. Son adresse décimait la troupe qui avançait sans méfiance dans la nuit. On sentait qu’il vivait parfaitement au milieu des bois. Il avait déjà une âme de maquisard.

Bref, le 21 décembre 1943 le maquis  » France  » est installé dans les granges de Cagnac, au beau milieu du Camp de Caylus. Les jours s’écoulent. L’entraînement des recrues se poursuit journellement. Ces jeunes hommes n’ont guère besoin de confort. Leur installation est sommaire. Après avoir dormi à même le sol ou sur les branchages à la belle étoile, quelle chance de coucher sur la paille fournie par un paysan des environs. La cuisine est rustique : quelques marmites suffisent pour cuire le ragoût de pommes de terre ou la potée de haricots et si, d’aventure, on a sacrifié une brebis, on débite la viande en petits morceaux, afin que tous soient servis équitablement. Son unique assiette d’aluminium garnie, le maquisard se restaure dans un coin assis à même la terre, jambe repliée à la façon des tailleurs. Le couteau individuel tient lieu de fourchette… Nul besoin de râtelier d’armes : elles sont rares et l’on dort avec elles en prévision d’une alerte nocturne.

D’ailleurs, ces hommes qui ont tout quitté pour reconquérir leur liberté et celle de leur patrie, se soucient peu du confort matériel.

Le matin, répartis en plusieurs groupes, ils apprenaient à ramper, à se camoufler, à lancer la grenade, à utiliser le plastique, à se battre à l’arme blanche. Une partie de l’après-midi était consacrée aux soins du cantonnement, au repos. Une équipe a été désignée chaque jour pour assurer le ravitaillement dans les fermes sûres. La nuit tombait rapidement à cette saison, et, à la lueur d’un feu de bois commençait la veillée où l’on évoquait des souvenirs et l’on se disait les espoirs. Puis un sommeil réparateur faisait oublier le risque d’une attaque en pleine nuit. On n’y pensait pas car l’impression de sécurité était grande dans ce coin perdu du Cantayrac. On se fiait aux sentinelles qui, remplacées toutes les deux heures, montaient une garde vigilante.

Or, un matin de fin janvier 44, alerte ! Des soldats allemands ont été vus, manœuvrant dans le camp de Caylus, à quelques centaines de mètres des cantonnements des maquisards. C’est miracle, s’ils n’ont pas décelé leur présence. Dans la nuit, ils avaient occupé les casernes vides du camp. Pour une fois le dispositif d’alerte n’avait pas fonctionné. Lennemi était venu inopinément. Pareil voisinage s’avère inquiétant. Aussi, Philippe ordonne-t-il le départ qui s’effectue avec toutes les précautions possibles. Dans la nuit, un camion P45 déménage ce que les hommes n’ont pu emporter avec eux, en direction du château de Lugagnac près de Limogne.

Durant ces quarante jours passés à proximité de Jamblusse, on peut penser qu’effectivement les maquisards étaient ravitaillés par les habitants du village et des environs, ou que réciproquement eux-mêmes se rendaient à Jamblusse pour se procurer des vivres.

Sur la présence du maquis  » France » au Camp de Caylus nous avons deux témoignages convergents : celui de Burg Adrien, beau-frère de Manuel de Azevedo, et celui de Simon de Azevedo, fils aîné de Manuel.

Adrien Burg déclare : « Chapou est arrivé sur le Camp fin décembre 1943. Avec ses hommes, ils se sont installés aux granges de Cagnac où ils sont resté jusqu’à fin janvier 1944. Il y avait une vingtaine de maquisards, armés pour la plupart de mitraillettes. Chapou portait un revolver à la ceinture. Quand, avec d’autres, nous sommes allés le trouver pour partir au maquis, il était assis sur le coin d’une table, faisant jouer entre ses doigts une balle. Il nous a dit en la regardant : celle-là, elle est pour moi. Ils ne m’auront pas vivant. « 

Pendant tout le temps où le maquis est resté aux granges de Cagnac, le ravitaillement des hommes a été assuré sur place chez les propriétaires de Jamblusse ou des environs. La nuit, on entendait la traction de Chapou qui passait sur la route, reconnaissable au bruit du moteur.
Quand fin janvier, les Allemands sont arrivés subitement sur le Camp, le maquis « France » a quitté très rapidement les lieux.

Simon Azevedo ajoute :  » Pendant les jours où réside sur le Camp le maquis de Jacques Chapou, sans me rappeler la date exacte (Simon Azevedo est alors âgé de huit ans et demi), se déroule le fait suivant : un soir, j’étais au lit avec mon frère. J’ai entendu parler dans la cuisine. J’ai compris qu ‘il y avait d’autres personnes avec mes parents. Je descends du lit et j’ouvre la porte. J’ai alors vu maman, mon père et deux maquisards. Je me souviens très bien qu ‘ils portaient un brassard bleu blanc rouge avec la croix de Lorraine, et à la ceinture des grenades et un revolver à long canon. Quand mon père m’a vu, il m’a vite pris dans ses bras et m’a ramené dans la chambre. Il m’a fait comprendre que c’étaient des personnes qui s’étaient trompées, qui étaient passées comme ça, sans raison, il ne fallait pas en tenir compte, et que, surtout, il ne fallait pas en parler, que tout allait bien.

C’est justement parce que mon père a tellement insisté que me sont restés en mémoire ces événements. Je revois encore maintenant la scène : deux hommes, habillés en kaki, avec des grenades à la ceinture et une arme de l’autre côté. Il faisait nuit, vers 9 ou 10 heures du soir. Il faisait froid. On était en hiver. Que venaient faire ces personnes ? Soit chercher du ravitaillement, mais alors elles ne se seraient pas cachées la nuit, ou alors c’est parce qu’elles savaient que notre père travaillait sur le camp et elles venaient demander des renseignements.

En fait, tous les gens qui travaillaient sur le camp étaient connues nécessairement par le maquis. On pouvait donc avoir affaire à eux pour savoir tout ce qui s y passait. Leurs activités essentielles sont celles du renseignement sur les installations et le matériel allemand après novembre 1942. »

L’épisode Chapou dans le Camp de Caylus se termine ainsi le 28 janvier 1944. Mais le maquis ne s’éloigne pas pour autant. Le château de Lugagnac est une vieille demeure difficile à chauffer avec le froid vif et la neige. Philippe décide d’évacuer ses compagnons vers un cantonnement plus abrité et plus facile à chauffer. Le déménagement a eu lieu de nuit vers une grande ferme abandonnée de la commune de Belfort de Quercy, aux confins du Lot et du Tarn-et-Garonne. Bien exposée au soleil, abondamment chauffée grâce au charbon ramené lors d’un coup de main effectué à Caussade, la grande bâtisse est un lieu propice à l’action. Ainsi, quelques jours après Carnaval, un autre coup de main permet de récupérer un stock de vivres, de chaussures et de linge au camp de Septfonds, ce qui permet d’équiper les hommes.

On arrive ainsi à la période qui précède le débarquement du 6 juin 1944. « Fin mai, nous dit Simon Azevedo, ça remue pas mal ! On sent qu ‘il va se passer quelque chose. Sur le camp, les troupes allemandes sont présentes en permanence. Un matin, quand on s’est réveillé, devant la maison, un champ était couvert de toiles de bivouac. Quand les Allemands sont arrivés fin janvier 1944, ils venaient souvent à Jamblusse, surtout pour nous acheter des oeufs. Tant que ce fut la Wehrmacht il n’y a pas eu d’incident. Puis ça a changé avec l’arrivée des S.S. en avril. Ils ne se conduisaient pas de la même manière. « 

En effet, au printemps 1944, la IIe D.B.S.S., dite division Das Reich, s’installe dans la région de Toulouse et de Montauban, avec mission de s’opposer aux mouvements subversifs intérieurs. Un groupe de reconnaissance est détaché sur le Camp de Caylus. Le départ de cette unité vers le nord est fixé au 1er juin 1944. La plus grande partie de la division Das Reich s’ébranle le 8 juin seulement vers le front de Normandie.

Dès avril-mai 1944, les Allemands étaient devenus nerveux. Ils sentaient que les temps difficiles approchaient. Ils comprenaient aussi que la population française était de plus en plus favorable aux patriotes qui, dans l’ombre ou dans les bois, préparaient la lutte contre l’occupant. Aussi se servirent-ils de tous les prétextes pour terroriser la population civile et organiser contre elle de sanglantes représailles.

Ainsi le 1er juin 1944, à 0 heures 30, Capdenac (Aveyron), gros centre ferroviaire, est occupé par les ETR du Lot. L’objectif est la mise hors d’usage du matériel, des aiguillages et des locomotives. Les Allemands n’eurent pas le temps d’intervenir. Est-ce pour se venger de leurs pertes et de l’occupation de Capdenac par le maquis, qu’ils amorcèrent, dès l’après-midi du 1er juin, une opération de représailles, à partir des éléments qu’ils avaient dans la région ? C’est ainsi qu’une petite colonne d’une dizaine de véhicules, venant du Camp de Caylus, traverse Jamblusse vers 16 heures, se dirigeant vers Varaire et Limogne où se tient la foire de printemps. A l’arrivée des Allemands, les habitants s’enfuient en tous sens. Les ennemis tirent, tuant deux jeunes gens sur le champ de foire, puis trois autres personnes en sortant du bourg.

Mais à Jamblusse, un drame se noue. Simon Azevedo raconte: « Le Ier juin au matin, mon père part travailler au camp à vélo. Il dit à ma mère qu ‘il rentrerait plutôt pour sarcler les pommes de terre. En général, il terminait son travail vers 17 heures. La colonne allemande passe à Jamblusse vers 16 heures. Le soir arrive. Mon père ne rentre pas. Ma mère est inquiète. Elle va voir notre grand-père Burg. Ils ne peuvent rien faire jusqu’au petit matin à cause du couvre-feu fixé à 20 heures.

Au matin, ils partent à vélo par la D.85 jusqu ‘aux Espagots. Ils voient les compagnons de travail et l’adjudant Cholet qui leur confirment : Il est parti comme d’habitude. L’inquiétude grandit encore. Au retour vers Jamblusse, au lieu-dit La Craux, ma mère a remarqué quelque chose qui brillait dans les buissons, sous le soleil. Il était près de dix heures. Cela l’a attiré. Avec son père, ils sont revenus en arrière, sont entrés dans un petit passage et ont aperçu tout de suite le vélo et le corps de mon père. Mon père étaient étendu sur le flanc, derrière les buissons. Le vélo était renversé avec une roue libre, comme s’il avait été jeté, le guidon à plat, les roues en l’air. Il y avait sur le corps des papiers déchirés en menus morceaux…, la tête de mon père reposait sur une pierre. Il avait une blessure à la poitrine, probablement causée par une balle explosive. Il avait aussi une blessure à la tempe droite, un tout petit trou, sans doute le coup de grâce.

Le corps fut ramené à Jamblusse dans l’après-midi sur une jardinière tirée par un cheval. Les obsèques eurent lieu le lendemain. Ma mère avait placé entre les mains de mon père une petite fiole renfermant les photos de ses deux fils. »

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page94jpgStèle de Manuel de Azevedo

Jacques Chapou au camp de Caylus
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