Pages 29-37 du Livre « Afin que Mémoire Demeure »

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page9

Camouflage du matériel militaire
La Dépêche dans la tourmente
Les parachutages

LA DEPECHE DANS LA TOURMENTE
1943 – 1945

Jean et Evelyne BAYLET

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page29Le père de Jean Baylet, Jean-Bernard Baylet, originaire de Saint-Vincent s’installe à Valence d’Agen peu avant 1900. Entrepreneur de travaux publics, il s’associe à Jean-Baptiste Chaumeil, dont il épouse une nièce, union d’où naîtra Jean-André-Bernard Baylet le 6 avril 1904. Après une scolarité au lycée Pierre de Fermât, ce dernier poursuit des études de droit et entre en 1925 à  » La Dépêche  » comme collaborateur personnel de Maurice Sarraut. Le 2 mai 1927 il devient administrateur du journal. Après être entré au conseil municipal de Valence d’Agen, il succède à Jean-Baptiste Chaumeil à la mairie de la vilLe à la mort de celui-ci en 1930.

En décembre 1940, il épouse Evelyne Isaac, qu’il a rencontré lors d’une cure à Ax-les-Thermes. Née à Batna, en Algérie, d’un père ingénieur et d’une mère institutrice, les grands-parents paternels d’Evelyne ont quitté l’Alsace au moment de son annexion par l’Allemagne en 1870. Licenciée en lettres, Evelyne Isaac enseigne le français, le latin et le grec au lycée de Bône. Son origine lui vaudra en 1943 une enquête de la part du commissariat général aux questions juives, dirigé par Joseph Lecussan. À partir de cette date, Evelyne Baylet doit se cacher et changer d’identité sous le nom d’Eliane Bories. Elle risque en effet de subir le même sort que tous ceux qu’elle et son mari ont aidés en 1942 – 1943, grâce à la filière dite « Tarn-et-Garonne « . Celle-ci passe notamment par le centre de la Bastiolle, dirigé, par un jésuite gaulliste et résistant, le père Peyralade, où ont séjourné Léo Hamon, Jean Cassou, Michel Debré, Olivier Stirn, et par le couvent d’Auvillar, confié par Mgr. Théas, après l’arrestation et la déportation des époux Hirsch, le 18 octobre 1943, aux sœurs belges d’Heverlee. De nombreux enfants juifs y ont été abrités, le temps de trouver un passeur vers l’Espagne.

Jean Baylet est resté maire de Valence-d’Agen durant toute l’occupation. Mais II affiche très tôt sa distance par rapport au régime, n’assistant jamais auxAFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page29-2 manifestations de la Révolution Nationale, mais par contre, participant à toutes les commémorations républicaines

Ainsi le 11 novembre 1942, il va seul déposer un panier de violettes au monument aux morts de Valence-d’Agen. De même il refuse de placer dans le secrétariat de la mairie, le portrait du maréchal Pétain offert par la Légion.

Son arrestation le 9 juin 1944 par la Gestapo met un point d’orgue à ses activités résistantes.

 

 

  Evelyne Baylet

Jean Baylet : les origines résistantes
La défaite de juin 1940 et l’exode sont un véritable traumatisme pour Jean Baylet.

Aussi, dès juillet 1940, il entra en relation avec Fernand Poncelet, sujet belge, directeur à Toulouse de l’aide sociale aux Belges. Ce dernier, qui fut un des chefs de la résistance belge, déclare que s’il put vivre caché et continuer son activité résistante, alors qu’ils étaient activement recherchés par les allemands 1941, c’est grâce aux subsides et au faux état civil que Jean Baylet lui procura. Pendant toute la période où il réside à Toulouse, il conserve le contact avec Jean Baylet qui lui fournit de précieux renseignements. Lors de son arrivée en Angleterre en décembre 1942, il signale aux autorités qualifiées de la France Libre l’aide que lui avait apportée le maire de Valence d’Agen.

De même Max Martin, préfet de l’Hérault à la libération, rappelle l’intervention de Jean Baylet, alors que le 5 septembre 1940, il venait d’être relevé de ses fonctions de secrétaire général à la préfecture de Montpellier, par Vichy.

Par ailleurs, le commandant Marcouires, alias « Drop » du mouvement Combat, président fondateur des M.U.R. et du C.D.L. clandestin de la Haute-Garonne, indique que, en 1943, Jean Baylet procura des refuges sûrs à Hauriou, chef régional de Combat dans la région R.4, alors qu’il était sur le point d’être arrêtés, ainsi qu’à Nixon, vice-consul d’Angleterre dont la tête été mise à prix par la gestapo, parce que considéré comme espion, et que les bureaux de Jean Baylet aussi bien à Valence-d’Agen qu’à la Dépêche de Toulouse étaient de vraies officines de délivrance de faux papiers.

Germain Carrère, vice-président fondateur des MUR et du C.D.L., clandestin de la Haute-Garonne, ex-N.A.P départemental de Combat et ex-N.A.P région des M.U.R., certifie avoir été en contact avec Jean Baylet dès 1943. Il précise que c’est en collaboration étroite qu’ont été dressés les statuts de la presse de la libération.

Des certificats établis par trois cadres du journal La Dépêche Toulouse : Derrac (qui sera déporté), Laffont, Ballut, il résulte que Jean Baylet a fait composer dans les ateliers de La Dépêche des numéros du journal clandestin « Libérer et Fédérer », qui était précédemment imprimés chez les frères Lion. AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page30De plus, il a été mis à la disposition de la résistance belge et de la résistance espagnole, ainsi qu’à de nombreuses organisations de résistance locale, l’atelier de photogravure pour servir à l’impression de tracts et de documents clandestins.

Marcel Rodolphe, président régional du comité national des journalistes résistants, précise que Jean Baylet collabora avec ce comité auquel il apporta une aide précieuse.

Tony Ver, instituteur à Valence d’Agen, chef de la résistance du secteur explique dans quelles conditions il obtint de Jean Baylet, la liste des personnes dangereusement soupçonnées par la milice. Il assure que ce dernier, maire de Valence d’Agen, a toujours eu une attitude noble et courageuse, et qu’il a constamment su prendre, au moment opportun, des décisions qui n’étaient pas sans risque. Par ailleurs il indique que Jean Baylet comptait à l’effectif de la 13e Cie A. S. de Tarn-et-Garonne.

Enfin, Guntz, secrétaire principal à la mairie de Strasbourg, qui a été incorporé de force dans la Waffen SS, d’où il réussit à s’évader, précisait avoir eu connaissance des menées de Bertrand, de Valence d’Agen, qui en accord avec les états-majors du régiment S.S. stationnés à Valence, devait amener l’arrestation de Jean Baylet, maire de Valence d’Agen et de sa secrétaire de mairie. En effet, le 7 juin 1944, deux officiers S.S. se présentent au domicile de Jean Baylet à Valence d’Agen pour procéder à son arrestation, suite à la dénonciation de Bertrand. Or, ce jour-là, Jean Baylet est à Toulouse. La gestapo de cette ville, alertée, vient alors arrêté Jean Baylet en son domicile Toulousain, 52 boulevard de Strasbourg. La déclaration de Guntz a été enregistrée le 13 avril 1945 à la compagnie EEI. du maquis de Valence d’Agen qui, ayant libéré le bourg, a arrêté Bertrand, militant PPF et collaborateur notoire. La dénonciation à la Kommandantur a été faite fin mai ou début juin 1944. Cette déclaration est la preuve irréfutable du lien de cause à effet qui existe entre l’action résistante et l’arrestation de Jean Baylet.

Enfin de quoi, le ministère des Anciens Combattants et Victimes de la guerre, lui décerna la carte de déporté résistant le 23 novembre 1951. Le temps de présence pris en compte dans la résistance est de 343 jours : interné du 7 juin 1944 au 15 juillet 1944, déporté du 16 juillet 1944 au 17 mai 1945. Le 10 juillet 1952, le titre de combattant volontaire de la résistance lui est attribué.
Maurice et Albert SARRAUT AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page31
La nuit est déjà tombée sur Toulouse, ce soir du 2 décembre 1943. Comme à l’accoutumée, Maurice Sarraut, directeur du journal  » La Dépêche « , quitte tardivement son bureau de la rue Bayard. Au même moment, une voiture dans laquelle ont pris place quatre miliciens démarre derrière le véhicule de Maurice Sarraut, puis le dépasse.

À 18 h 20, la voiture de Maurice Sarraut se présente devant le portail de la villa familiale, dans le quartier Saint-Simon. À cet instant précis, l’un des assassins, mitraillette au poing, sort de l’ombre et tire plusieurs rafales sur le flanc gauche de l’automobile à hauteur des glaces, puis regagne en courant l’autre voiture qui attend, moteur au ralenti, louché par neuf balles, Maurice Sarraut s’effondre. Il expire dans les bras de son frère Albert.

Loin du fait divers ou de l’attentat gratuit, l’assassinat de Maurice Sarraut porte à son paroxysme la décision de  » La Dépêche  » de continuer à paraître envers et contre tout.

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page32Une décision politique qui va cristalliser, fin 1943, les contradictions dans lesquelles se débat le régime de Vichy.

La disparition du directeur de  » la Dépêche « , huit mois avant la Libération, entraîne une nouvelle organisation du conseil d’administration. Le testament de Maurice Sarraut désignait Jean Baylet pour lui succéder. Mais, lors d’une réunion du conseil le 5 décembre 1943, la décision est prise de nommer Albert Sarraut président du journal. Jean Baylet se place provisoirement en retrait.

Si Albert Sarraut assure la direction politique de « La Dépêche », à ses côtés Jean Baylet conduit le journal dans sa partie rédactionnelle.

La nomination d’Albert Sarraut, et plus encore les responsabilités accordées à Jean Baylet, sont mal accueillies par Vichy. Elles sonnent comme un défi : le journal continue son combat souterrain.

Dans cette atmosphère de plus en plus lourde, les relations avec la censure s’aigrissent. Fin 1943, début 1944, les rapports avec la censure militaire allemande s’enveniment. De Vichy, les lettres de rappel à l’ordre se succèdent. Durant tout le mois de mars, la situation empire. Le 5 mai 1944, Vichy suspend la parution de  » La Dépêche « . Dès la réception du télégramme, Jean Baylet ferme le journal. Son intention est de ne plus reparaître. Mais le 15 mai, Vichy enjoint à « La Dépêche » de reparaître immédiatement.

Le 27 mai, les rotatives ne fonctionnent toujours pas. En fait, le journal cherche à gagner du temps et a pris contact avec la Résistance. C’est dans ce contexte crucial que Jean Baylet rencontre Jean Cassou, futur commissaire de la république pour la région toulousaine.

Or, les événements se précipitent. Le 6 juin, les Alliés débarquent en Normandie.

Le 9 juin, Albert Sarraut et Jean Baylet sont arrêtés et emprisonnés par les Allemands.
Les arrestations du 9 juin 1944

Le 9 juin, la rafle de la Gestapo a lieu au petit matin. Une trentaine de notables sont arrêtés par la S. D. et incarcérés à la prison Saint-Michel de Toulouse. Ce sont toutes des personnalités toulousaines, montalbanaises et agenaises.

On y trouve des ecclésiastiques : Mgr. de Solages, recteur de l’institut Catholique et Mgr. Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban, les préfets Edouard Kuntz, préfet du « Tarn, et Louis Tuaillon, préfet du Lot-et-Garonne, le banquier Courtois de Viçose, Albert Sarraut et Jean Baylet.

Une série d’arrestations parallèles a frappé la préfecture de Tarn-et-Garonne. Elle touche des personnes suspectées de résistance comme Irénée Bonnafous et Roger Delnondedieu mais aussi le notaire Emile Bousquet, père de René Bousquet.

De façon piquante, le vieux franc-maçon qu’est Irénée Bonnafous embrasse spontanément dans la prison de Montauban, Mgr. Théas. Alors, l’évêque de déclarer : « Monsieur Bonnafous, on m’avait dit beaucoup de mal de vous, mais je vois que l’on m’avait trompé ». Le dignitaire du Grand Orient de France de répliquer :  » Monseigneur, on m’avait dit beaucoup de bien de vous, mais je vois qu’on était en dessous de la vérité  » Et l’évêque de conclure : « Ceci prouve que vos amis sont plus charitables que les miens ».

Cette série d’arrestations s’inscrit dans le dispositif que met en place l’occupant à la suite du débarquement allié. À Paris, le chef suprême de la Gestapo, Karl Oberg, a pris les mesures nécessaires pour assurer aux troupes une liberté de mouvement quand l’heure de la retraite sonnera. Ainsi prescrit-il l’arrestation préventive de toutes les personnes susceptibles de prendre des responsabilités dans la nouvelle administration appelée à se mettre en place.

S’y ajoute pour Jean Baylet une dénonciation visant la résistance notoire qui est la sienne à Valence-d’Agen, ville dont il est le maire et restera le maire à la Libération. Jean Baylet a été dénoncé par un milicien local, M. Bertrand, auprès d’un détachement de la WaflFen S.S. de la division  » Das Reich « , qui réside à Valence d’Agen en avril et mai 1944, détachement de quelques centaines d’hommes, responsables du massacre de Saint-Sixte, Caudecoste et Dunes le 23 juin 1944.

Dans l’après-midi du 9 juin, les détenus sont répartis en trois cellules : préfecture-police, clergé-magistrature, armée. Ils sont bientôt une cinquantaine à subir un interrogatoire d’identité. Leur fiche porte la mention « deutschfeindlich » c’est-à-dire « hostile à l’Allemagne « .

Le jeudi 15 juin, à 8 heures du matin, les notables que les Allemands appellent « détenus d’honneur » (chrehàftlinger) sont embarqués dans des wagons gardés à chaque extrémité. À 11 h, le train part en direction de Bordeaux.
Les Proeminenten

Partis de Toulouse le jeudi 15 juin, c’est finalement par la vallée du Rhône que le train qui transporte les détenus, parvient à Paris le lundi 19. Débarqués à Compiègne, c’est à pied que « les toulousains » rejoignent le camp de Royalieu, situé à 4 kilomètres.

Rebaptisé le Frontstalag 122 par les autorités allemandes, le camp de Royalieu est l’antichambre des camps de concentration et d’extermination nazis.

Petit à petit, la vie des « détenus d’honneur », les « proeminenten » comme les appellent les gardiens allemands s’organise. Le jour de la Saint-Pierre, fête patronymique de Mgr. Théas, tous les toulousains se réunissent dans sa baraque. Au nom de tous, Albert Sarraut offre leurs vœux à l’évêque, en évoquant les temps proches où la liberté serait rendue.

Le 15 juillet, alors que les armées alliées s’approchent de Paris, les autorités du camp décident de faire partir vers l’Allemagne un nouveau convoi dont feront partie « les détenus d’honneur ». Mgr. Théas, qui ne fait pas partie du convoi, célèbre une dernière messe à laquelle assistent tous les « proeminenten ». Les prisonniers traversent Compiègne encadrés par les soldats allemands. Les rares passants se découvrent. Arrivés à la gare, des wagons à bestiaux les attendent.

Commence alors un voyage de 62 heures, irréaliste, hallucinant, pendant lequel, dans la chaleur suffoquante, certains deviendront fous. Le convoi arrive enfin le mardi 18 juillet à Hambourg, avant de rebrousser chemin vers une plaine marécageuse : Neuengamme.

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page34-1Neuengamme est le grand camp de concentration du nord de l’Allemagne. De 1940 à 1945, il reçoit plus de 100 000 détenus de toutes nationalités. Au printemps 1945, il compte encore 13 500 prisonniers. Quand ils ne sont pas occupés à extraire la glaise pour la briqueterie ou à travailler dans les usines d’armements de la région, les internés doivent combler les marais, au prix d’efforts exténuants qui coûtent la vie à des milliers d’entre eux.

À leur arrivée, les déportés sont débarqués sans ménagement. Ils sont dirigés vers une construction en brique, encadrés par des kapos qui hurlent, armés de fouets. Le baraquement offre un spectacle d’outre-tombe où grouillent des silhouettes anguleuses, au visage émacié, aux yeux exorbités de terreur, parmi des odeurs de remugle, de suint et de tinette. Ce n’étaient déjà plus des hommes.

Mais bientôt le groupe des « proeminenten » est reconstitué. Ils sont près de 400, venus de tous les coins de France. Ils sont installés dans deux baraques près du « revier », le bâtiment de l’infirmerie. Une méfiance durable s’installe entre ces captifs privilégiés et les autres déportés, qui éprouvent, dans leur souffrance, envie, incompréhension, haine parfois.

Désormais à l’écart du régime commun des déportés, les détenus vont organiser leur survie. Jean Baylet, resté volontairement dans l’ombre d’Albert Sarraut, AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page34-2conserve, à la différence d’autres qui s’effondrent moralement, toute sa dignité. Tout au long de sa captivité, Jean Baylet gardera le contact avec les déportés, en leur faisant passer, par tous les moyens, pain et nourriture.

Le retour
Au printemps 1945, la lecture des journaux allemands révèle aux détenus l’avancée des alliés dans le Reich.

Le matin du jeudi 12 avril, leur sort bascule. Vers 13 heures, Jean Baylet et ses compagnons montent dans 13 autobus blancs de la Croix-Rouge suédoise. Les 356 détenus français doivent être acheminés vers le camp de Flossenburg. Mais, devant l’anarchie qui règne dans ce camp, le convoi continue sa route vers Theresienstadt, forteresse prison de Bohème.

Le 26 avril, le petit groupe de captifs quitte Theresienstadt et arrive le 29 au camp de Breshan près de la frontière tchèque. Là, on leur annonce qu’ils sont libres.

La tension est extrême. Le 2 mai, on apprend la mort du Fùhrer. L’Allemagne capitule le 8 mai. Le 13 mai, le chef de la mission française à Prague, se rend au camp avec la mission d’organiser le rapatriement des 356 ressortissants français. Le 14 mai, un premier groupe gagne Prague, puis Pilsen. Le 17 des camions américains les transportent à Wursburg où des bimoteurs les attendent. Ils atterrissent au Bourget le 19 mai 1945 et conduits à l’hôtel Lutetia.

Entre temps, Toulouse a été libérée. La déportation de Jean Baylet provoque, avant même son retour d’Allemagne et alors que tout le monde ignore son sort, des polémiques. Il faudra attendre les années 1960 et la lente prise de conscience de l’irréductibilité de ce que l’on appellera la Shoah, pour que le terme soit réservé aux deux véritables catégories de déportés : les déportés politiques et les déportés raciaux. Le débat sur la captivité de Jean Baylet est relancé en 1973 par Pierre Bertaux, commissaire de la République à Toulouse à la libération, qui qualifie de « bourgeoise » la déportation d’Albert Sarraut et de Jean Baylet. Le mot, né dans l’après 1968, est malheureux.

Aux yeux des contempteurs de « La Dépêche », peu importent les circonstances exactes de l’arrestation et de la captivité de ses dirigeants. L’enjeu estAFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page35 symbolique, politique, matériel. Leur journal ayant été confisqué, ils ne sauraient avoir été résistants et déportés. A l’été 1944, bien avant le retour de Jean Baylet, le quotidien de Toulouse est déjà entré dans la phase de l’après-libération : réhabilitation et reconquête.

Le 19 mai 1945, à Paris, Jean Baylet retrouve Evelyne, son épouse. C’est un spectre amaigri dans un état pitoyable, qui flotte dans ses vêtements. Il ne sera plus tout à fait le même après. Son regard sera souvent triste, perdu dans le vague. Il ne parlera jamais de son séjour dans les camps.

Jean Baylet et la 13e Cie A. S.
Après l’arrestation de Jean Baylet par la Gestapo le 9 juin 1944, la situation à Valence
d’Agen évolue vite.

Durant l’été 1944, la ville sert de cantonnement à deux compagnies de la sinistre panzerdivision S.S. « Das Reich ». Celles-ci, avant d’entamer le parcours qui allait les conduire à Oradour-sur-Glane, se sont déjà illustrées par une série de massacres, à Saint-Sixte, Caudecoste et Dunes, le 23 juin 1944. Après leur départ, des troupes de la Wehrmacht occupent la ville jusqu’au 19 août 1944. La maison de Jean Baylet a été réquisitionnée par les Allemands. Mais leur retraite laisse le champ libre aux EEI. de la 13e Cie de l’Armée Secrète.

Celle-ci est née en juin 1943, sous la direction de Georges Trénac, dit « Tellier », avec pour adjoint et responsable de Valence d’Agen, Antonin Ver, alias « Nito », un instituteur de la « laïque » que Jean Baylet a rencontré avant-guerre. Elle bénéficie d’emblée de l’appui du maire de Valence d’Agen, qui fournit informations et faux papiers. Le 6 avril 1944, le parachutage par un Halifax anglais d’un lot d’armes et de munitions permet de démarrer un maquis au sud de la Garonne, à Sistels. Le dimanche 20 août 1944, les EEI. entrent dans Valence d’Agen, pendant qu’un groupe harcèle les troupes allemandes qui se retirent et fait 22 prisonniers. Or, dans la ville, les EEI. trouvent à leur surprise, un commando ETE venu du Lot qui occupe déjà la mairie. L’affrontement est évité de justesse et les maquisards lotois acceptent de se retirer. En Tarn-et-Garonne comme ailleurs, la course de vitesse que représente l’occupation des mairies est un enjeu politique : elle prépare la carte des conquêtes électorales de l’après-guerre.

Le 21 août, le comité local de libération, présidé par Antonin Ver, adopte la motion suivante :

« Les membres du conseil municipal de Valence et du Comité de libération, interprètes de la population et des mouvements de Valence, adressent à monsieur Jean Baylet, maire de Valence d’Agen, arrêté par la Gestapo et actuellement détenu en Allemagne, l’expression sincère de leur entier dévouement ».

Les EEI. dressent deux arcs de triomphe à l’entrée de la ville, aux portes du domicile de Jean Baylet. Dans la ville, la résistance du maire de Valence d’Agen ne fait guère de doute.

Le comité départemental de Montauban le confirme dans ses fonctions de maire, décision validée par l’arrêté préfectoral du 8 septembre 1944.

AFIN QUE MEMOIRE DEMEURE Tome2 Page37Irénée Bonnafous
Né le 8 avril 1865 – décédé le 16 janvier 1947

Né à Saint-Laurent de la Cabrerisse dans l’Aude, Irénée Bonnafous était petit fils d’un meunier du Narbonnais. Publiciste, sur la demande de Maurice Sarraut, il prend la direction de la rédaction départementale du journal de  » la Dépêche » de Toulouse à Carcassonne en 1890.

En 1895, il est nommé à Montauban dans le même poste. Il y restera 52 ans pendant lesquels il parviendra à imposer « La Dépêche » à l’électorat Tarn-et-garonnais. Il devient le véritable chef du parti radical-socialiste dans la région sud. Franc-maçon, il est désigné vénérable de la loge « La Parfaite Union » de Montauban en 1903. Sa solidarité « fraternelle » s’exprime en faveur des républicains espagnols, dès 1937. Ainsi, il réussit à faire évader de nombreux internés du camp de Septfonds, tous, maçons, arrivés en mars 1939. Cette aide apportée aux espagnols, et notamment au président de la République espagnole, Manuel Azana, vaut à Irénée Bonnafous. le surnom de « El Padre » à la libération.

En mai 1941, il est l’instigateur de l’organisation résistante « Les Jacobins montal-banais » qui regroupe pour leur grande majorité les éléments du parti radical-socialiste et les maçons hostiles à la politique du gouvernement de Vichy. Leurs actions se limitent pour l’instant à la diffusion de la presse clandestine, plus tard viendront les sabotages. Bonnafous n’entend pas en rester là. Il met en place un service de renseignements privé grâce à ses précieux réseaux. C’est à ce titre qu’il servira de relais, de boîtes aux lettres à la Résistance dans son ensemble. Août 1944, il est membre du Comité de Libération C.D.L. au titre des personnalités devant y figurer. Il milite dès lors, en faveur de la réconciliation nationale. Il est rapidement en désaccord avec les mesures ayant trait à l’épuration politique. Il se rapproche à ce titre de Mgr. Théas, qui condamne lourdement les exécutions de l’après libération. Bonnafous se retire un mois après sa nomination au C.D.L., et refuse plus tard la médaille de la Résistance.

La Dépêche dans la tourmente
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