Page 35-36 du Livre « Cinquantenaire Libération de Montauban et du Tarn et Garonne »
16 mars 1943 – 19 décembre 1943
Deux dates retenues par la Commission du cinquantenaire pour commémorer les événements qui se sont produits à Montauban sous l’occupation allemande et la vigilance de son alliée, la milice de Darnand, à la gare de Villebourbon, sur les quais et au dépôt des machines, provoqués par la Résistance tarn-et-garonnaise, le premier pour s’opposer au départ des jeunes réquisitionnés pour aller travailler en Allemagne par le Service du travail obligatoire (S.T.O.), le second pour paralyser les transports vers l’Allemagne des marchandises prélevées sur notre production nationale par l’occupant pour alimenter son économie de guerre.
La loi du 4 septembre 1942 permet au gouvernement de Vichy de disposer des travailleurs âgés de 18 à 60 ans et des travailleuses âgées de 21 à 45 ans. Vichy impose, en vertu de ce texte, le 16 février 1943, aux jeunes gens de 20 à 22 ans, un service du travail obligatoire de deux ans. Cette loi française fut exécutée par des fonctionnaires et des policiers français au profit de l’industrie de guerre allemande alors que dans les autres pays vaincus c’est l’occupant qui recense, rafle et déporte.
Du volontariat des années 1940-1941, au S.T.O. de 1943, en passant par la relève, telle est la lente évolution qui va amener des centaines de milliers de Français à travailler en Allemagne.
Où est le devoir de ces pauvres gens ?
Échapper en se cachant, en devenant insoumis et sans ressources ou suivre les voies, officielles ou pas, qui prônent la solidarité, l’esprit civique, les menaces de représailles contre les leurs ?
Beaucoup se résigneront, la rage au cœur, à partir malgré les appels de la Résistance (journaux et tracts) leur demandant de refuser ou de la rejoindre, tels les articles du mouvement de résistance Libérer et fédérer dans son journal clandestin du 14 juillet 1942 intitulé : « Pas un ouvrier pour forger en Allemagne nos propres chaînes », du 1er septembre 1942 intitulé : « Ouvriers Français, n’allez pas en Allemagne, si l’on vous y expédie de force, sabotez la production de l’ennemi » et ceux des autres journaux de la Résistance : Combat, Libération, etc.
A Montauban, de nombreux tracts ont été distribués quelques jours avant la date de départ du premier convoi de jeunes gens requis pour l’Allemagne invitant la population à protester contre ce départ et, si possible, l’empêcher.
A ce sujet, le rapport confidentiel de mars 1943, adressé au siège (hôtel de Séville – Vichy) de la Légion française des combattants et des volontaires de la révolution nationale, nous apprend :
• que des papillons de forme rectangulaire sur lesquels étaient imprimés la croix gammée et le mot « Laval » avaient été apposés dans Montauban et enlevés par les soins de la police ;
• que de nombreux exemplaires de tracts ayant pour titre :
n° 1 « Manifeste à tous les Français », n° 2 « Français condamnés à la déportation », n° 3 « Combat », n° 4 « Cheminots »,
n° 5 « Référendum national contre Vichy », n° 6 « La jeunesse de France répond « merde »,
ont été distribués en grande quantité dans les boîtes aux lettres et répandus sur la voie publique dans Montauban ;
• que « malgré la diffusion immédiate de « contre-tracts », une manifestation a eu lieu le 16 mars suivant les instructions portées sur le tract n° 3 »,
• que « cette manifestation s’est produite après le départ du train qui devait partir le 16 mars à 20 h 15 et qui n’est parti qu’à 22 heures par suite du sabotage des freins » ;
• « qu’après le départ de ce train, un groupe d’environ 250 personnes comprenant de nombreuses femmes et enfants se sont dirigées vers la préfecture en chantant l’ Internationale, en proférant des menaces contre Hitler. La police momentanément débordée n’a rétabli l’ordre qu’après intervention de la garde mobile appelée à protéger la préfecture. Plusieurs arrestations ont eu lieu » ;
• que les communistes ont une activité de « chuchoteurs » sur le thème : l’envoi de la main-d’œuvre française en Allemagne est « une déportation massive de toute la population mâle afin de rendre impossible toute tentative d’insurrection ou de mobilisation en France » ;
• que « c’est dans le milieu des administrations que l’on trouve les plus acharnés à faire campagne contre la Légion » avec ce développement : « tout ce qui, comme fonctionnaire ou employé des administrations est resté en place comme agent des loges, du Front populaire et de Moscou, certains instituteurs, secrétaires de mairie, facteurs sont, dans certains cantons, notoirement connus comme faisant campagne sournoisement contre le gouvernement et la Légion » parce qu’elle est pro-allemande ;
• qu’en réponse aux tracts répandus par la Résistance invitant à manifester à la gare le 16 mars 1943, il a été distribué 8 000 tracts pour combattre l’action de la Résistance :
• 2 000 tracts destinés aux cheminots,
• 3 000 tracts intitulés « organise la destruction massive de tous les pays libres »,
• 3 000 tracts intitulés « Français, qui que vous soyez ».
Par ces divers appels, la Résistance tarn-et-garonnaise a su rassembler pour manifester contre le régime de Vichy, la collaboration, la tyrannie, les « boches et les traîtres ». Dans son journal Libérer et fédérer, n° 6 et 7 de mars 1943, elle rendait compte de la manifestation contre « la relève » d’une autre manière, plus objective que celle que nous venons de lire de la Légion des combattants du Tarn-et-Garonne dans son procès-verbal à Vichy.
Le journal Libérer et fédérer était imprimé à Toulouse chez les frères Henri et Raoul Lion, importantes figures de la Résistance régionale. Ils furent déportés ainsi que tout leur personnel, dont Georges Séguy qui deviendra par la suite secrétaire général de la C.G.T., par la Gestapo en février 1944. Puis chez l’imprimeur Raymond Castelvi qui accepta de prendre la relève.
La Résistance en Tarn-et-Garonne se manifeste, à partir de 1943, par diverses actions de sabotage sur les lignes électriques, les voies ferrées, les routes et le canal latéral à la Garonne. En décembre 1943, la ville de Montauban, à son tour, met en mouvement son potentiel d’actions de destructions et de sabotages en application du plan vert (sabotages des installations et des matériels ferroviaires), des instructions reçues de l’échelon de commandement dont elle dépend ou à partir des informations qu’elle recueille localement.
C’est ainsi que le groupe Peretti de l’O.R.A. – C.F.P. (organisation de Résistance de l’armée – Corps franc Pommiès) qui opère dans la région de Castelsarrasin et qui a reçu en renfort un instructeur pour l’emploi des explosifs (Bernard Amiot) envoyé par le B.C.R.A., parachuté le 15 novembre 1943 à Lamothe près de Lectoure dans le Gers, réalisera le 19 décembre 1943 un sabotage très important détruisant 19 locomotives de la S.N.C.F. au dépôt des machines de la gare de Montauban. Un second sabotage, dans ce même lieu, sera effectué par les-mêmes le 31 janvier 1944, mettant hors d’état de fonctionnement 10 autres locomotives.
Ces sabotages par explosion marquent le début de l’exécution du « plan Vert » en Tarn-et-Garonne et à Montauban à cause de sa position de nœud ferroviaire (Bordeaux – Paris – Toulouse – Montagne Noire).
Au cours de ces actions bien menées techniquement, un accident mortel est à déplorer, celui dont fut victime l’ouvrier Maury Auguste, chargé de la maintenance sous pression des locomotives.
Echos du Front de la Résistance
Le peuple de Montauban manifeste contre la « Relève »
Le 16 mars. Un soir de relève. Un contingent part pour l’Allemagne. La cour de la gare est truffée de policiers. La foule ne peut franchir ce barrage. Elle manifeste son indignation au chant de l’Internationale et de la Marseillaise.
Divers incidents surgissent sur le quai.
Le train part en abandonnant son fourgon qu’une locomotive lui amènera plus tard à une autre gare.
Le convoi parti, les manifestants décident d’aller protester à la Préfecture. Sur un parcours d’un kilomètre, un cortège de plus d’un millier d’hommes, de femmes et de jeunes gens se déroule sans rencontrer d’obstacle. De nouveau la Marseillaise et l’Internationale retentissent. S’élèvent aussi les cris : « Hitler au poteau ! Laval au poteau ! ». On arrive à la Préfecture. Internationale et Marseillaise. « Laval et Hitler au poteau ! » Police française et soldats boches en armes surgissent. Huit arrestations.
Notons la brutalité de la soldates-que boche envers des enfants et celle de certains policiers dont nous conservons les noms.
Six arrestations sont maintenues. Trois jeunes ont été expédiés au camp de Saint-Sulpice, trois autres seront traduits devant le tribunal correctionnel. Le lendemain, on a arrêté un jeune homme accusé d’avoir donné des drapeaux français aux manifestants. Ces arrestations sont scandaleuses. On ne peut plus s’en étonner. On sait que nos dirigeants, qui avaient préparé notre défaite d’accord avec Hitler, sont heureux d’emprisonner les vrais Français qui osent se montrer patriotes. Cela se paiera.