Pages 91-98 du Livre « La mémoire : Heurs et Malheurs »

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Le guet-apens
de Lalande-Basse
28 juin 1944

Tome3-Memoire-heurs-et-malheursPage92L’occupation totale de la France par les allemands le 11 novembre 1942 a entraîné une vague de pessimisme dans la population. Avec appréhension, les Montalbanais ont assisté, passifs, à l’entrée des troupes hithlériennes dans la ville. Aussitôt les autorités occupantes ont réquisitionné l’hôtel Terminus, près de la gare de Villebourbon, et les principaux hôtels de la ville haute, ainsi que des immeubles et des villas pour les officiers de la Wertmacht. Les troupes ont été cantonnées dans les casernes. Les premières garnisons ont été formées de recrues étrangères, et essentiellement tchèques et polonais. Seuls les cadres étaient allemands. Ces premiers contingents ont été déplacés à l’automne 1943. Les nouvelles formations sont arrivés au début de 1944. C’étaient de tous jeunes soldats qui manifestaient une grande frayeur à l’idée d’un départ sur le front de l’Est. Vers le mois d’avril 1944, apparaissent des unités S.S. des divisions blindés « Das Reich » « et Hermann Goering ». Létat major s’installe quai Monmurat à l’Institut Calvin, alors que la gestapo réquisitionne l’ancien hôtel de la division, faubourg du Moustier.

Dès lors les incidents entre la population civile et les troupes d’occupation vont se multiplier, d’autant que les allemands deviennent particulièrement nerveux avec l’approche du débarquement allié du 6 juin 1944.

Les arrestations de membres ou sympathisants de la résistance vont se multiplier. Les mois de mai et juin 1944 sont singulièrement durs pour les Forces Françaises de l’Intérieur, d’autant que la gestapo est efficacement secondée par la milice. Jusqu’à mai 1944 l’activité de cette dernière est dirigée vers la recherche des armes parachutées et des résistants. Les prisonniers faits par la milice sont alors conduits au château de Capou, aux environs de Montauban, pour y subir les premiers interrogatoires. Lactivité milicienne s’étend, dès fin avril, aux opérations de police, ainsi qu’aux opérations militaires, souvent exécutées en collaboration avec les allemands. A la suite de la disparition du chef départemental, d’Artencet de La Farge, le 16 juin 1944, la milice s’installe au lycée Michelet où elle pratique des interrogatoires calqués sur ceux de la gestapo.

A partir de mai, les temps vont être d’une extrême brutalité. Le 2 mai ont lieu les événements tragiques de Montpezat-de-Quercy. Les 3 et 4 mai, toute une équipe de l’Armée Secrète est arrêtée, suite à la dénonciation du parachutage du Fau. Au matin du 4 mai, le corps d’un milicien, agent de la gestapo, est retrouvé au bas de la côte Torte, dans le Tescou, une balle dans la nuque. Le 2 juin, le chef du service des parachutages, Etcheverlepo, est abattu pont des Consuls, par des miliciens lancés à sa poursuite. Le 16 juin, ce sont le chef départemental de la Milice et son adjoint, le capitaine Renard, qui, arrêtés côte du Touron, à la sortie de Montauban, sont jugés et exécutés à Panégro. Plusieurs accrochages ont lieu entre les troupes d’occupation et la milice d’une part, et les F.F.I . d’autre part. Le 16 juin 1944, au pont de Chaume, une patrouille allemande intercepte, à la nuit, une voiture transportant des résistants du marquis de Cabertat. Une fusillade éclate. Deux soldats allemands sont tués. Quelques jours plus tard, le 20 juin, on apprend l’attaque du marquis de Cabertat par une colonne de 400 soldats allemands et d’une centaine de miliciens.

C’est dans ce contexte que, le 28 juin, à Lalande Basse, quelques éléments de la 3e compagnie de l’Armée Secrète, sous les ordres de Bourget, tombent dans un guet-apens. Cet épisode présente des incertitudes. Lun des acteurs, René Lacassagne, donne un témoignage précis sur cet événement.

René Lacassagne, pseudo La Tulipe, est un sous-officier de la garde mobile, passé à la résistance dans le cadre de la 3e compagnie A.S.. Connaissant parfaitement le fonctionnement des différents types d’armes, il joue le rôle d’instructeur auprès de jeunes recrues. Passé à la 7e compagnie A.S. à Pech Sec, il est l’adjoint d’André Fiquet, pseudo Tataouine, qui avait été, au début, responsable du maquis Bir-Hakeim.

Après l’affaire du parachutage du Fau et les arrestations qui suivirent, les membres de la 3e compagnie avaient fait retraite vers la Sauzière. René Lacassagne est du nombre. Il y reste peu de jours et rejoint Montauban où il se cache chez ses parents qui tiennent l’épicerie Epargne du Rond.

« Le 27 juin 1944, vers les quatre heures de l’après-midi, je suis de passage rue Marie Laffont. J’y rencontre le fils Ferrie, brigadier de police, qui me présente deux jeunes filles, Geneviève et Huguette Garrigues , toutes deux membres du club ajiste de Montauban, qui habitent au premier étage de l’immeuble jouxtant l’hôtel des Alliés. Ces jeunes filles me disent qu ‘elles connaissent un Monsieur qui cherchait à entrer en contact avec les membres de la résistance, pour leur livrer des armes.

Je ne sais qui a été chercher le Monsieur en question. Celui-ci n’était autre que Lopez que je connaissais de vue comme propriétaire d’un magasin de cycle, rue Ingres. Nous avons été consommer au café de l’Industrie. Je ne me rappelle plus si Ferrié était avec nous. Lopez nous a confié alors son projet. II se dit en relation avec un officier de la résistance de la Haute-Garonne qui se faisait fort de livrer un camion d’armes à la résistance du Tarn-et-Garonne. Dans ce but, il désirait faire la connaissance de personnes du maquis, auquelles il remettrait le camion.

Après le départ de Lopez, je revois Roland Ferrié qui accepte de recruter parmi ses amis de la 3e Compagnie pour former le groupe réceptionnaire.

J’ajoute que Lopez nous avait recommandé, lors de notre entrevue au café, d’opérer sans armes, (pourquoi ?)

Pour tout mettre au point, je prends rendez-vous, le soir même chez Lopez, rue Ingres, à 8 heures du soir. J’avais quand même un soupçon et décidais de consulter notre chef de section Bourget qui était hébergé chez Monsieur Saccareau, plombier-zingueur, 19 rue du général Sarrail. Bourget était absent, mais je mets Saccareau au courant, le prie d’en informer Bourget et lui demande conseil.

Saccareau se montre hésitant : le coup était très tentant, mais engagé dans des conditions troublantes. Nous convenons de le tenter tout de même, en prenant le maximum de mesures de prudence.

Je passe chez Lopez à 8 heures comme convenu, et lui demande des renseignements plus précis : je lui demande à quel groupe appartenait l’officier responsable. II me donna des renseignements assez imprécis : c’était un vrai résistant qu’il connaissait bien, quoi qu’il ne fût pas du département. Le camion plein d’armes serait escorté par une traction. Nous tombons d’accord pour recevoir le camion et fixons le lieu et l’heure : ce sera vers les dix heures du matin, à Lalande Basse, au deuxième carrefour.

Encore une fois Lopez réitère : « surtout ne venez pas armé ». Il ajoute qu’il amènerai quelques connaissances à lui, pour nous aider.

Je suis revenu chez Saccareau pour le mettre au courant et lui dire que tout était prêt. Le jeune Descour, beau-fils de Monsieur Saccareau, membre de la 3e compagnie, qui a assisté à la conversation, s’engagea à venir avec nous. Il devait y trouver la mort.

Le 28 juin, vers 8 heures 30, au café du Rond, nous nous comptons une huitaine environ pour participer à l’affaire. Il y a Bourget mis au courant par Saccareau, Ferrié, Descour, et un ou deux autres : pistolets et grenades cachés sous nos vêtements, conformément à l’accord pris avec Lopez.

Lopez arrive avec les siens. J’ai reconnu Dalmon, Bianco, et par la suite, j’ai su qu ‘il y avait Ferrié.

Nous nous concertons avec Lopez qui précise le projet. Je fais alors partir notre groupe par petit paquet vers Lalande Basse. Férrié prend ta tête comme guide. Puis Bourget suit pour remettre le dispositif en place. »

Témoignage Jean Cassagne.

Jean Cassagne a 17 ans en 1944. Il raconte :

« Le 28 juin la journée est radieuse. Vers 10 heures, le soleil est déjà haut dans le ciel. A cette époque, nous faisions la moisson, route de Léojac à Lalande, dans la propriété Castel dont le métayer était André Olivero. Les bâtiments de la ferme étaient situés sur la gauche en sortant de la ville. Au carrefour (avec l’actuelle rue Edouard Forestié), était localisée la ferme Marengo, dont le métayer était Monsieur Martineau. On est déjà dans la pleine campagne, recouverte en ce début d’été, de champs de blé. Avec Monsieur Olivero et son fils Pierre, nous étions en train de couper le blé à moins de 100 m du croisement (actuellement Supérette Tajan). Nous apercevons alors cinq à six hommes marchant en silence le long de la route vers la ferme Marengo. Nous n’y avons pas prêté d’importance. »

Lacassagne reprend :

pendant ce temps restent au café Lopez avec les siens, et moi. Il me dit encore, à part :

– « au moins, vous n ‘avez pas d’armes ? » Nous buvons, assis à la terrasse, lorsque arrive une traction noire qui s’arrête à la hauteur du poste d’essence, à 2 m de moi. Lopez va vers la voiture, parle au conducteur et se retourne, nous disant que le camion d’armes s’était trompé de route et était parti sur ta direction de Paris. Un des passagers demande que l’un ou deux des nôtres montent pour les piloter et rattraper le camion. Dalmon et Bianco rejoignent la voiture qui file sur la route de Paris. Lopez, avec l’un des siens, part en direction de Lalande. Avant de nous séparer, je dis à Lopez :

–    « Je vais me poster à l’extrémité de la rue Camille Delthil, route du terrain de manoeuvre, pour aiguiller le convoi sur les lieux convenus. »

Je passe chez moi, à l’épicerie Epargne, je prends mon vélo et je pars. Arrivé à l’extrémité de la rue, je gare mon vélo dans une maison voisine et attends. Au bout d’une demi-heure, je vois arriver la traction. Je m’avance ; elle s’arrête. A l’intérieur, cinq hommes, dont quatre armés de mitraillettes. Lun me demande :

–    « Où sont les copains ?» je réponds :

–    « En place ! » et je demande à mon tour :

–    « Où est le camion ? » réponse :

–    « Ils viennent »

Effectivement, je vois poindre un camion au fond de la rue : le hasard l’a voulu ainsi. Et donc ma méfiance s’amoindrit. On m’invite à monter et je prends place entre le chauffeur et le passager avant. Dans un silence absolu, l’auto démarre lentement. Au bout d’un moment, celui qui était à ma droite me dit :

–    « Mais, où sont les copains ? »

–    « Plus loin », lui dis-je, en indiquant la direction de la campagne. Il insiste d’un ton plus impératif qui me surprend. Je ne réponds plus. Presque aussitôt, un passager, assis derrière moi, celui du milieu, me frappa avec une matraque. En même temps celui qui était à côté de moi, me passe des menottes. On continue à me frapper. Heureusement, le plafond bas de la voiture atténue la violence des coups. Peu après, nous arrivons au 2e carrefour de Lalande Basse celui de l’embuscade. Nous tombons en plein dispositif

Lauto stoppe. Je passe les mains ligottées à travers le pare-brise ouvert, pour qu’on me voit et que l’on comprenne. Les cinq individus de la voiture descendent, mettent en joue et crient :

–    « Haut les mains ! » Et ils tirent. Je vois alors, juste à côté de la voiture, Lopez crier :

–    « C’est moi ! C’est moi ! Pas moi ! » , et Bourget surgir du fossé et lancer une grenade qui éclate. Le tout, rapide et simultané. C’est la bagarre.

Témoignage Cassagne.

« Vers midi nous avons entendu un bruit de moteur. Une traction avant noire remontait la route de Léojac à petite vitesse… et soudain des coups de feu éclatent avec intensité et rapidité. Nous percevons le sifflement des balles au-dessus de nos têtes. Nous nous enfuyons vers la ferme Castel. Le tout n’a duré qu’un instant. Le calme revenu, les gens accourent. En arrivant sur le site de l’embuscade, je vois une traction noire percée de multiple trous ‘impacts, portières ouvertes, garée sur le côté gauche de la route. A côté, gisent deux corps. A la ferme Marengo, un blessé était venu se laver une plaie. L’auge en pierre est rempli d’eau rougie par le sang. Le blessé a disparu. Les corps n’ ont été relevés que dans l’après-midi. C’étaient ceux de Lopez et du jeune Descour. L’émoi était grand aux alentours.

Lacassagne poursuit :

« Je réalise la situation. La portière est ouverte tout à fait sur le bord de la route et, par un hasard miraculeux, devant un petit pont qui franchit le fossé et donne accès aux champs voisins. Je me laisse glisser hors de la voiture et je m’échappe. Sans ce ponceau, je n ‘aurai pas pu traverser le fossé et gravir le talus assez escarpé, à cause des mains étroitement liées par les menottes. Je me coule derrière une haie, me glisse dans une vigne, tombe dans un ruisseau, m’en sort avec peine. Heureusement, je n’étais pas poursuivi, mais, instinctivement, je me retournais souvent pour m’en assurer. Je file à travers champ, traverse la route de Monclar, coupe par Beau Soleil. Dans une villa ayant un aspect de chateau, je demande à deux femmes des tenailles pour couper les menottes. Prises de peur, elles s’en vont en me disant qu’un forgeron, dans la vallée du Tescou, pourra cisailler mes liens. Elles m’indiquent même la ferme. J’arrive dans la cour de la ferme indiquée. J’y trouve un jeune homme, je m’explique, et, sans hésiter, il va dans son atelier, et avec une scie à métaux, coupe mes menottes. Les mains libres, je me semble plus rassurer. Je traverse le Tescou à gué, marche en direction de Sapiac, sur la route de Corbarieu.

Sur le parcours, je rencontre mon ami Fénié, fermier dans la banlieu de Montauban, qui me fait entrer chez lui. Je m y restaure et y laisse le pistolet que j’avais caché sous mon blouson, ainsi que le blouson car il aurait pu me signaler. J’arrive à Sapiac je me fais tondre les cheveux à zéro, pour me faire une nouvelle figure. Passé le pont Neuf je vais m’héberger à Rouges, chez Louis Delrieu, cheminot, dont le fils était mon compagnon à la troisième compagnie.

Le lendemain de mon arrivée chez Louis Delrieu, nous recevons, transmis par Saccareau, l’ordre de rejoindre la 7e compagnie A.S. Avec pour point de chute la ferme de Madame Gandil, dont le mari est prisonnier en Allemagne, commune de Caylus, lieu-dit Lassale, près de l’église Saint-Symphorien.

Le 30 juin, nous quittions Rouges. Nous sommes cinq : Olivet, Arnaudet, Andrieu, Oustrières et moi, munis de l’itinéraire à suivre. La journée est longue et épuisante. Le jour va s’achever quand nous arrivons chez madame Gandil. Saccareau est là qui nous attend. Il y a aussi, André Fiquet, pseudo Tataouine, qui, presque sur le champ, nous embarque dans une camionnette en direction de Pech Sec, cantonnement du maquis Bir-Hakeim.

Tel est le récit véridique de cette affaire de Lalande. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la recommandation réitérée de Lopez de ne pas prendre d’armes, et son cri – qu’il me semble entendre encore – lorsqu’il avait la mitraillette sur le ventre : « moi, moi, pas moi ! » lors de l’accrochage, en fait, un guet-apens. Ces deux faits me font douter très fort de la sincérité de Lopez, doute non encore dissipé aujourd’hui.

Je suis parti en mai 1946 pour l’Indochine. Dans le courant de mon séjour, j’ai lu dans « La Dépêche du Midi », la réhabilitation de Lopez. Peu après, j’ai reçu du colonel, commandant la subdivision de Montauban, une lettre me demandant de retracer les péripéties de l’affaire. J’ai répondu que ceux qui avaient réhabilité Lopez étaient sans doute mieux qualifiés que moi pour retracer les faits ».

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Le guet-apens de Lalande-Basse
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