Page 71- 80 du Livre « Cinquantenaire  Libération de Montauban et du Tarn et Garonne »

 23 juin 1944 (Saint-Sixte, Caudecoste, Dunes)

Entre les 15 et 20 juin 1944, un cahier dénonciateur est déposé à la kommandantur allemande S.S. division « Das Reich » de Valence-d’Agen. Ce cahier va servir de base à l’atroce expédition des S.S. cantonnés à Valence-d’Agen, sur trois communes : Saint-Sixte, Caudecoste et Dunes.

Que lit-on sur ce cahier de 15 pages ?

Maison par maison, les habitants des villages de Dunes et de Sistels sont dénoncés, pour la plupart, comme terroristes et communistes. Us sont classés en « terroristes ville » et « terroristes campagne » : 46 dénonciations à Dunes, 13 à Sistels. Le cahier se termine par la « liste de ceux qui sont pour les Allemands » : 5 noms seulement, et ces mots : «… Les autres, je ne les connais pas, mais je sais qu’il n’y en a pas beaucoup à Dunes… » « Liste de ceux qui sont pour les allemands M. …fils prisonnier en Allemagne, beau-frère de mon mari C…, Maire B…, le curé B…, cultivateur S…, cultivateur

et les autres, je ne les connais pas, mais je sais qu’il n’y en a pas beaucoup à Dunes, ont préféré écouter radio Londres ou Washington, ces bons amis anglais qui leur bourrent le crâne pour faire des bandits au lieu de rester calmes
et disciplinés comme recommande notre miséricorde. Ils préfèrent dire « On les aura tous ces sales boches » et aller avec les anglais qu’ils leur portent le bien-être qu’ils espèrent tant.

Mais je ne vois pas beaucoup cela. Plutôt la misère, la ruine et la mort.

Les gens de Dunes et Sistels vous font bonne mine par devant et par derrière, ils vous feraient pendre. Il leur faudrait les allemands pour les calmer, s’est dans ses petits pays qu’il y a la panique parce qu’ils ont personnes pour les garder. C’est pour cela que nous sommes mal vu les italiens, et surtout parce que mon mari n’est pas partit à la guerre. Ils sont jaloux qu’il soit a la maison et d’accord avec les officiers allemands qui sont partis maintenir l’ordre. C’ est pour ça qu’ ils vont faire des misères Dimanche.

Il faut que vous alliez arrêter ce peuple autrement c’ est toujours a recommencer, mais pas un mot à personne de moi parce que je crois qu’il m’en voudrait, mais je compte sur vous.

En dernière minute, apprendre que Flamarens, Miradoux, Lectoure, Mansonville, se préparent terroristes aussi, pas un instant a perdre parce que ceux qui sont partis de Sistels (des bois) et qui sont a la maison, vont sans doute reprendre aussi. Avoir appris aussi que mon mari, reste caché encore parce qu’ils le prendrait vu ce qui se présente.

J’espère bien qu’on pourra les calmer parce qu’ils ne sont pas bien armés. »

Il y a donc eu dénonciation. Un rapport de gendarmerie d’ailleurs en atteste : « Le bourg de Dunes était fréquenté depuis le 8 juin par des individus communistes constitués en maquis, ayant leur refuge dans les bois environnants. Certains de ceux-ci étaient des habitants de Dunes. Une distribution d’armes automatiques avait été faite le 10 juin dans le bourg même. »

En effet un double parachutage d’armes avait été effectué début juin : 2 Halifax avaient largué leur précieuse cargaison sur les pentes caillouteuses en bordure de PArrats, terrain homologué de Sistels. Prévenus par le message « C’est un aboyeur enragé », les différents groupes de réception venus de Dunes, Sistels, Lamagistère et Valence-d’Agen, avaient recueilli une bonne vingtaine de containers destinés à la 13° compagnie A.S., sous la direction d’Antonin Ver (Nito), André Merle (l’Oiseau), Pierre Demathieu, Robert Gayral…

Le 23 juin 1944, au lever du jour, une unité d’environ 200 S.S. de la division « Das Reich », cantonnée à Valence-d’Agen, franchit la Garonne à Lamagistère et se dirige vers Saint-Sixte. Cette unité est la compagnie S.S. n° 29955 commandée par le capitaine Hermann et le lieutenant Eric Dwuret. Elle arrive à Saint-Sixte, bourg voisin de Saint-Nicolas-de-la-Balerme, vers 5 heures. L’aurore se précise à peine. Rien ne trouble la quiétude de ce pays riche, fertile, aux laborieux habitants. Dès leur arrivée dans le village, les Allemands sectionnent la ligne téléphonique desservant la localité. Ils progressent prudemment dans le bourg endormi. A l’entrée d’un chemin de terre, près du village, dorment dans leurs roulottes, deux tribus de forains. Les chevaux et les mulets paissent en liberté. Le feu de campement, allumé la veille, fume encore.

Soudain, dans le vacarme des injonctions « Raus ! raus ! », 17 personnes, hommes, femmes, enfants sont jetés dehors de leurs voitures. Puis c’est la fouille des véhicules dans le désordre et la brutalité. Ces forains ont un stand de tir utilisant des carabines à bouchon et à air comprimé, qu’ils installent de foire en foire. Mais malheur à eux ! Les S.S. feignent de voir dans ces carabines, des armes, un arsenal !

« Terroristes ! Terroristes ! » hurlent-ils. Aussitôt, les hommes, frappés à coup de crosse, sont placés en file, bras levés. Les femmes suivent, portant les enfants en bas âge. Lamentable cortège. Bousculés par les Allemands, tous sont amenés dans la prairie voisine, placés en demi-cercle, sommés à se coucher.

Et l’horrible carnage commence. Avec une rage folle, les Allemands s’acharnent à la mitraillette sur leurs victimes, broyant les chairs, déchiquetant les corps. 2 hommes, 6 femmes, 6 enfants sont abattus en quelques secondes. 3 blessés n’ont dû leur salut qu’en simulant la mort.

Puis les S.S. regagnent leurs camions et s’éloignent vers Caudecoste.

Caudecoste est un petit village de quelques centaines d’habitants, situé sur la rive gauche de la Garonne. Pays agricole, riche, dans une plaine fertile, où l’existence est facile et aisée.

Ce 23 juin, dès 6 heures, les Allemands cernent le village dans le brouillard du petit matin. Un habitant, pris de peur, qui s’enfuyait à travers champs, est abattu. Puis, les S.S. perquisitionnent maison par maison, et commencent arrestations et pillage. Un ouvrier agricole, homme simple, auquel la peur enlève tous ses moyens, est arrêté et interpellé par un sous-officier : « Terroristes ! » – « Terroristes ? », « Oui, je travaille la terre. » répond-il. Effroyable confusion. Le malheureux venait de signer sa propre condamnation à mort. Dès sa réponse, les soldats le placent devant le mur d’une maison, bras levés. Ils apportent une corde qu’ils attachent à une treille de chasselas. Pour passer la corde autour de la tête de l’infortuné, un soldat lui assène, sous le menton, un formidable coup de poing pour lui remonter la mâchoire.

Trajet de la colonne allemande le 23 juin 1944. Saint-Sixte – Caudecoste – Dunes.

Une chaise renversée ! Un corps qui se balance ! Des bras qui s’agitent !…

Jusqu’à leur départ de Caudecoste. tous les groupes d’Allemands qui passaient dans la rue, frappaient à grands coups de crosse le corps du supplicié, que le vent faisait tourner au bout de sa corde, en criant : « Exemple ! exemple ! ».

Ce n’est que le soir venu, très longtemps après le départ des soldats, que l’on osa descendre le cadavre.

Avant de quitter Caudecoste, les S.S. avaient mangé copieusement et bu force bouteilles. Aussi, c’est une troupe surexcitée qui prit la direction de Dunes, qu’elle atteignit en fin de matinée. Avec elle, elle emmenait deux otages : Le curé de Caudecoste et un réfugié.

Au flanc des premiers coteaux, bordant la vallée de la Garonne, large de 5 kilomètres en cet endroit, à proximité de Valence-d’Agen, le village de Dunes accroche ses maisons à la terre fertile, toute en champs cultivés et vergers. Les habitations sont groupées au bord de la route, rue principale de l’agglomération avec, au centre, la place du Marché. Pays agricole par excellence, calme, heureux et riche. Là, dans ce village, le 23 juin 1944, 300 habitants vivaient en paix, chacun, en cette matinée, vaquait à ses occupations.

Vers 11 heures, alors que le soleil est déjà haut dans le ciel, une colonne allemande de 200 hommes environ, arrive à pied, l’arme à la main, à travers champs, venant de Saint-Sixte et Caudecoste. Ces hommes traînent avec eux une pièce d’artillerie légère. Ils sont surexcités, crient fort et certains en français.

Parvenu sur la place centrale, l’officier qui commande l’unité, convoque M. Demanchy, secrétaire de mairie, et sous la menace de son revolver, lui ordonne de faire rassembler dans les dix minutes, tous les hommes de la commune, sous les arcades. Le garde champêtre, à grands roulements de tambour, parcourt les rues et donne avis à la population.

L’officier possède une liste dactylographiée de 42 noms. Les soldats font alors monter 70 hommes environ sous les arcades de la mairie. Ils les dépouillent de tout ce qu’ils ont sur eux. Pendant ce temps, d’autres pénètrent dans les maisons bordant la place et s’emparent de tous les accessoires nécessaires en prévision des exécutions par pendaison qu’ils ont décidées. Tables et chaises sont portées devant l’entrée de la poste, sous le balcon. Un vieux câble est découpé en plusieurs morceaux.

12 hommes sont appelés et mis à part, puis, le lugubre défilé commence.

Un à un, les hommes sont amenés entre deux soldats. On les fait monter sur une chaise ou une table. La corde passée autour du cou, un soldat renverse le siège, et l’homme demeure pendu, essayant de ses mains libres, de se cramponner à la corde. Un temps… Les derniers soubresauts : horribles agonies !

Ainsi ont péri, sans un cri, sans un appel, dans le terrible silence, 11 Français innocents. Le douzième, au moment d’être pendu, fait subitement un bond et fuit par une ruelle voisine du couvent, mais il s’abat, mitraillé par les Allemands qui l’achèvent à coups de crosse.

L’œuvre de mort est terminée.

Au terme de ces exécutions, et après avoir abattu deux autres habitants autour du village, la mise à sac du bourg est interrompue par l’arrivée d’une estafette motocycliste, portant un ordre de rappel vers Valence-d’Agen.

Epilogue

Reconnues coupables d’avoir établi le cahier dénonciateur, Carmen S…, née le 21 février 1914 à Dunes, née V…, et Maria B…, née le 20 décembre 1905 à Cirie (province de Turin, Italie), demeurant à Malause, ont été pendues à Dunes le 1er septembre 1944, devant la population, en place publique.

Le poids abject de la délation
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